Le dernier rayon de soleil de Chloé : une mère face à l’adieu

« Camille, il faut que tu viennes maintenant. » La voix de l’infirmière résonne dans le couloir glacé de l’hôpital Necker. Je serre la peluche de Chloé contre moi, le cœur battant si fort que j’ai l’impression qu’il va exploser. Autour de moi, tout semble flou, irréel. Les murs blancs, les néons, les silhouettes pressées… Je n’entends plus que le sang qui pulse dans mes tempes.

Chloé, ma petite fille, mon rayon de soleil, est allongée là, si petite dans ce grand lit d’hôpital. Elle ne bouge plus. Son visage est paisible, presque endormi. Mais je sais. Je sais que ce sommeil-là n’a rien d’innocent.

« Maman ? » murmure mon fils aîné, Lucas, du bout du couloir. Il a neuf ans. Il ne comprend pas tout, mais il sent que quelque chose d’irréversible est en train de se jouer. Je lui fais signe de rester avec son père, Paul. Je dois être forte. Pour eux. Pour elle.

Le médecin, le docteur Lefèvre, s’approche doucement. « Camille… Nous avons fait tout ce que nous pouvions. Chloé est en état de mort cérébrale. » Sa voix tremble à peine, mais je vois la tristesse dans ses yeux. Il me parle du don d’organes, de la possibilité que Chloé sauve d’autres vies. Je n’entends qu’un mot : adieu.

Je m’effondre sur la chaise en plastique, les mains crispées sur la peluche. Paul pose sa main sur mon épaule. « Camille… Peut-être que c’est ce qu’elle aurait voulu… » Je hurle intérieurement : comment peut-on savoir ce qu’une enfant de deux ans aurait voulu ?

Les heures passent dans un brouillard de larmes et de papiers à signer. Ma mère arrive de Lyon en catastrophe. Elle pleure en silence, me serre fort dans ses bras. « Ma chérie… Personne ne devrait vivre ça… »

La nuit tombe sur Paris. Les infirmières entrent dans la chambre, une à une. Elles entourent le lit de Chloé, se tiennent la main. L’une d’elles, Sophie, commence à chanter doucement : « Tu es mon soleil… Ma seule raison… » Les autres reprennent en chœur : « Tu rends mes jours plus beaux… »

Je m’effondre au pied du lit, submergée par l’émotion. Je sens la main chaude de Lucas dans la mienne. Il pleure sans bruit, les yeux fixés sur sa petite sœur.

« Chloé va aider d’autres enfants à vivre, maman ? » demande-t-il soudain.

Je hoche la tête, incapable de parler.

Le personnel médical s’affaire autour du lit. On me laisse quelques minutes avec elle. Je caresse ses cheveux blonds, je lui murmure tout l’amour que j’ai pour elle, tout ce que je n’ai pas eu le temps de lui dire.

« Pardon ma chérie… Pardon de ne pas avoir pu te protéger… »

Paul me serre contre lui. Nous sommes seuls avec notre douleur, mais aussi avec cette étrange lumière : Chloé va continuer à vivre à travers d’autres enfants.

Le lendemain matin, tout est fini. La chambre est vide. Je marche dans le couloir, hébétée. Les infirmières me saluent avec des regards pleins de compassion.

À la sortie de l’hôpital, des journalistes attendent déjà. On parle du geste héroïque de Chloé à la radio, à la télévision. Mais pour moi, il n’y a rien d’héroïque : il n’y a que le vide.

Les jours suivants sont un cauchemar éveillé. Les voisins déposent des fleurs devant notre porte à Montrouge. Les amis appellent, envoient des messages. Ma sœur Julie vient dormir chez nous pour veiller sur Lucas.

Mais la famille se fissure sous le poids du chagrin. Paul s’enferme dans le silence ; il ne veut plus parler du don d’organes. Ma mère me reproche d’avoir accepté trop vite : « Tu aurais dû attendre un miracle ! »

Je me débats entre la culpabilité et la fierté douloureuse d’avoir permis à d’autres familles d’espérer encore.

Un soir, alors que je range les affaires de Chloé dans sa petite chambre rose pâle, Lucas entre timidement.

« Maman… Tu crois qu’on pourra revoir Chloé un jour ? »

Je m’assois sur le lit et le prends dans mes bras.

« Je ne sais pas mon cœur… Mais elle est là, partout où il y a un peu de lumière et beaucoup d’amour… »

Aujourd’hui encore, chaque fois que j’entends « Tu es mon soleil », je pense à elle et aux familles qui ont reçu un appel inespéré grâce à Chloé.

Est-ce qu’on peut vraiment se remettre d’un tel choix ? Est-ce qu’on peut être fier et brisé à la fois ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?