La nuit où j’ai perdu et retrouvé Camille : Histoire de peur, d’espoir et de blessures familiales
« Camille ! Camille, réveille-toi ! »
Ma voix tremblait, déchirant le silence de la chambre. Je serrais ma fille contre moi, son petit corps mou, ses lèvres virant au bleu. Le monde s’est arrêté. J’ai hurlé : « Élodie, appelle le SAMU ! »
Élodie, ma femme, a trébuché dans le couloir, le téléphone à la main, les larmes déjà sur ses joues. Je n’entendais plus rien, juste le sang qui battait dans mes tempes et le souffle qui manquait à Camille. J’ai tenté de me souvenir de ce que le pédiatre avait dit, de ce que j’avais lu sur les gestes de premiers secours. Mes mains tremblaient. J’ai soufflé dans sa bouche, doucement, priant un Dieu auquel je ne croyais plus depuis longtemps.
« Camille, s’il te plaît… »
Le temps s’étirait, cruel. Les minutes étaient des heures. Puis, un cri. Faible, mais là. Camille a repris une inspiration sifflante. J’ai éclaté en sanglots, Élodie s’est effondrée à mes côtés. Les secours sont arrivés, la lumière bleue des gyrophares a envahi notre salon. On nous a emmenés à l’hôpital, la nuit noire déchirée par la sirène.
Dans la salle d’attente, tout est devenu flou. Élodie fixait le sol, ses doigts crispés sur son manteau. Je voulais la prendre dans mes bras, mais un mur invisible nous séparait. Depuis la naissance de Camille, tout était plus difficile. Les nuits blanches, les disputes pour un rien, la fatigue qui rongeait nos nerfs. Mais ce soir-là, c’était autre chose. Un gouffre s’était ouvert sous nos pieds.
Ma mère est arrivée, essoufflée, le visage marqué par l’inquiétude. Elle m’a serré contre elle, mais j’ai senti sa main hésiter. Depuis des années, nos rapports étaient tendus. Elle n’avait jamais accepté mes choix, ni mon mariage avec Élodie. « Tu vois, la vie n’est pas simple », murmurait-elle souvent, comme si elle attendait que tout s’effondre pour me dire « je te l’avais bien dit ».
Les heures ont passé. Un médecin est venu nous voir, le visage grave mais rassurant : « Votre fille va s’en sortir. Elle a eu un malaise respiratoire, mais elle est hors de danger maintenant. »
J’ai senti mes jambes flancher. Élodie a éclaté en sanglots, cette fois dans mes bras. Mais au lieu de nous rapprocher, cette épreuve a creusé un fossé. Sur le chemin du retour, le silence était lourd. J’ai tenté de parler :
— On va y arriver, tu crois ?
— Je ne sais pas, Paul… Je ne sais plus.
Le lendemain, la maison semblait étrangère. Camille dormait dans son berceau, paisible, comme si rien ne s’était passé. Mais moi, je n’étais plus le même. Je revoyais sans cesse son visage inerte, la peur de la perdre me rongeait.
Les jours suivants, tout a explosé. Élodie m’a reproché de ne pas avoir été assez attentif, de trop travailler, d’être absent même quand j’étais là. J’ai crié que je faisais de mon mieux, que je portais déjà le poids de mon enfance sur les épaules.
— Tu crois que c’est facile pour moi ? Tu crois que j’ai eu un modèle ?
— Ce n’est pas une excuse ! On a une fille maintenant, Paul !
Je suis sorti en claquant la porte. J’ai marché longtemps dans les rues de Nantes, sous la pluie fine de novembre. Je pensais à mon père, à ses silences, à ses absences. À ma mère qui pleurait en cachette et qui me répétait que les hommes ne pleurent pas. J’avais juré de ne jamais reproduire ça. Et pourtant…
Le soir, je suis rentré. Camille pleurait. Élodie aussi. Je me suis assis à côté d’elles. J’ai pris la main d’Élodie.
— Je suis désolé. J’ai peur, moi aussi. J’ai peur de ne pas être à la hauteur.
Elle a posé sa tête sur mon épaule. Pour la première fois depuis longtemps, on a parlé sans se crier dessus. On a évoqué nos peurs, nos attentes déçues, nos rêves brisés par la réalité. On a décidé d’aller voir un conseiller conjugal.
Ma mère est venue garder Camille pendant nos séances. Un soir, elle m’a dit :
— Tu sais, Paul… J’ai eu peur aussi, quand tu es né. J’avais l’impression que tout pouvait s’arrêter d’un instant à l’autre. Je n’ai jamais su comment te le dire.
J’ai vu ses yeux briller d’une tristesse ancienne. J’ai compris que les blessures se transmettent sans qu’on le veuille. Que le pardon n’est pas un acte unique mais un chemin.
Aujourd’hui, Camille va bien. Elle rit, elle court dans le jardin. Avec Élodie, on se dispute encore parfois, mais on essaie de se parler vraiment. Ma mère vient plus souvent, elle joue avec sa petite-fille et me regarde avec une tendresse nouvelle.
Mais parfois, la nuit, je me réveille en sursaut, le cœur battant. Je revois cette scène, je sens encore la peur me serrer la gorge. Est-ce qu’on peut vraiment guérir de ses blessures ? Est-ce qu’on peut pardonner à la vie de nous avoir fait si mal ? Qu’en pensez-vous ?