La Dernière Promesse à Ma Mère : Entre Larmes et Espoir à Nantes

« Tu ne dois pas laisser ton frère seul, Camille. Promets-le-moi… »

La voix de ma mère, faible, tremblante, se perdait dans le souffle régulier des machines. J’étais là, assise sur la chaise en plastique bleu, les mains crispées sur le drap blanc, à regarder le visage amaigri de celle qui avait été la force de notre famille. Dehors, la pluie battait les vitres de la chambre d’hôpital du CHU de Nantes, comme si le ciel lui-même pleurait avec nous.

Mon frère, Julien, était absent. Comme toujours. Depuis des années, il ne venait plus qu’aux anniversaires ou aux enterrements. Nous nous étions disputés pour des histoires d’argent, de jalousie, d’amour maternel mal partagé. Mais ce soir-là, tout semblait dérisoire face à la mort qui s’approchait.

« Camille… promets-le-moi… »

J’ai senti mes larmes couler sans bruit. Comment promettre ce que je n’étais pas sûre de pouvoir tenir ? Comment pardonner à Julien ses absences, ses trahisons ?

« Je te le promets, maman », ai-je murmuré, la gorge serrée.

Elle a fermé les yeux, soulagée. Quelques heures plus tard, elle est partie. Juste moi, seule dans la lumière blafarde du matin naissant.

Les jours suivants ont été un tourbillon : les démarches administratives, les condoléances des voisins du quartier Saint-Félix, les fleurs qui s’entassaient dans l’appartement vide. Julien est arrivé en retard à l’enterrement. Il n’a pas pleuré. Il m’a à peine regardée.

Après la cérémonie, il a lancé :

— Tu comptes faire quoi de l’appartement ?

J’ai senti la colère monter. Même pas un mot sur maman. Juste l’argent, toujours l’argent.

— On verra plus tard, Julien. Ce n’est pas le moment.

Il a haussé les épaules et s’est éloigné pour fumer une cigarette avec nos cousins.

Les semaines ont passé. Je me suis retrouvée seule à trier les affaires de maman : ses foulards colorés, ses lettres d’amour jaunies, les photos de vacances à La Baule. Chaque objet me ramenait à elle, à notre enfance heureuse avant que tout ne se fissure.

Un soir, alors que je vidais un tiroir du salon, je suis tombée sur une lettre adressée à moi. L’écriture tremblante de maman.

« Ma chère Camille,
Si tu lis cette lettre, c’est que je ne suis plus là. Je sais que tu souffres et que tu en veux à ton frère. Mais il a besoin de toi plus que tu ne le crois. Il porte un poids dont tu ignores tout… »

Je me suis effondrée en larmes. Quel poids ? Quels secrets ?

Le lendemain, j’ai appelé Julien.

— On peut se voir ?

Il a soupiré au téléphone.

— Si c’est pour parler d’argent…

— Non. Pour parler de maman.

Nous nous sommes retrouvés au café Le Nid, place Royale. Il avait l’air fatigué, vieilli.

— Qu’est-ce que tu veux savoir ?

J’ai sorti la lettre.

— Elle dit que tu portes un poids… Dis-moi la vérité.

Julien a détourné les yeux.

— Tu crois que c’était facile pour moi ? Après le divorce, c’est moi qui ai vu papa sombrer dans l’alcool. Toi tu étais partie faire tes études à Paris… Moi je suis resté ici avec ses crises, ses hurlements… Maman n’a jamais voulu voir ce qu’il me faisait subir.

Je suis restée sans voix. Je n’avais jamais su. Jamais compris sa colère sourde contre moi et contre maman.

— Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

— Parce que tu étais la préférée… La petite fille parfaite qui réussissait tout… Moi j’étais juste le fils qui décevait tout le monde.

Un silence lourd s’est installé entre nous. J’ai repensé à toutes ces années perdues à se haïr pour des malentendus et des blessures cachées.

— Je t’en veux pas, Camille… Mais je ne sais pas si je peux être ce frère dont tu as besoin.

J’ai repensé à la promesse faite à maman. À sa voix mourante qui me suppliait de ne pas laisser Julien seul.

— Peut-être qu’on peut essayer… Pas pour maman. Pour nous.

Julien a esquissé un sourire triste.

— On verra bien…

Depuis ce jour-là, on se parle un peu plus souvent. Ce n’est pas facile. Parfois on se dispute encore pour des broutilles. Mais il y a quelque chose qui a changé : une possibilité fragile de se retrouver.

Parfois je me demande : est-ce qu’on peut vraiment réparer une famille brisée ? Est-ce que le pardon suffit quand tout semble perdu ?

Et vous… avez-vous déjà fait une promesse impossible à tenir ?