Fleurs sur ma robe, larmes sur mes joues : Mon bal de honte et de courage
« Camille, tu ne peux pas entrer habillée comme ça. »
La voix sèche de Madame Lefèvre, la CPE, résonne encore dans mes oreilles. Je serre les pans de ma robe à fleurs contre moi, le cœur battant à tout rompre. Les autres élèves, alignés derrière le cordon rouge du gymnase décoré pour le bal de promo, me regardent avec des yeux ronds. Certains chuchotent, d’autres détournent le regard. Je sens la chaleur monter à mes joues, mes mains tremblent.
« Mais pourquoi ? » Ma voix se brise. « Il n’y avait pas de dress code… »
Madame Lefèvre soupire, agacée : « Ce n’est pas approprié pour un événement aussi important. Tu aurais dû choisir une tenue plus… classique. »
Je me sens minuscule. Ma mère avait cousu cette robe exprès pour moi, avec ses mains fatiguées après ses journées à l’hôpital. Elle disait que les fleurs me donnaient l’air d’une héroïne de roman. Mais ce soir, je ne suis qu’une paria.
Je recule, bousculée par la honte et la colère. Derrière moi, j’entends Élodie murmurer : « C’est n’importe quoi… » Mais personne ne bouge. Je sors du lycée en courant, mes talons claquant sur le bitume froid. La nuit est tombée sur le parking désert. Je m’effondre contre un lampadaire, les larmes brouillant ma vue.
Je sors mon téléphone et compose le numéro de ma meilleure amie, Manon. Elle décroche aussitôt.
— Camille ? Ça va ?
— Non… Ils m’ont virée du bal. À cause de ma robe…
Ma voix se brise à nouveau. Manon jure à l’autre bout du fil.
— Attends-moi, j’arrive tout de suite !
Mais je sais qu’elle habite trop loin pour venir rapidement. Je raccroche, seule avec ma tristesse. J’entends encore les rires étouffés qui s’échappent du gymnase, la musique qui pulse derrière les murs. J’ai envie de hurler.
Soudain, mon téléphone vibre : un message de ma cousine Lucie. « Tu viens toujours à mon bal ce soir ? »
J’avais promis d’aller la voir après mon propre bal, pour l’encourager lors de sa première soirée au collège. Je regarde ma robe froissée, mes yeux rougis dans le reflet d’une voiture.
Je prends une grande inspiration et décide d’y aller. Je n’ai plus rien à perdre.
Le trajet en bus est interminable. Les regards des passagers glissent sur moi, certains s’attardent sur mes fleurs colorées comme si j’étais déguisée. J’ai envie de disparaître.
Arrivée devant la salle des fêtes municipale, j’hésite à entrer. Mais Lucie m’aperçoit par la fenêtre et court m’ouvrir.
— Camille ! T’es magnifique !
Ses yeux brillent d’admiration sincère. Elle me serre dans ses bras sans poser de questions.
À l’intérieur, l’ambiance est bien différente : des enfants rient, des parents discutent autour du buffet. Personne ne juge ma robe. Lucie me présente à ses amis :
— C’est ma cousine ! Regardez comme elle est belle !
Pour la première fois ce soir, je souris vraiment.
Plus tard, alors que je danse maladroitement avec Lucie et ses copines sur une chanson de Clara Luciani, je sens mon cœur se réparer petit à petit. Une maman s’approche de moi :
— Votre robe est splendide ! On ne voit plus assez de couleurs comme ça chez les jeunes…
Je la remercie timidement. Les compliments sincères me réchauffent plus que n’importe quelle lumière de bal.
Vers minuit, Manon m’envoie un message : « Je suis devant chez toi avec des glaces et des films si tu veux parler. »
Je souris en pensant à elle, à Lucie, à tous ceux qui m’aiment pour ce que je suis vraiment.
Sur le chemin du retour, je repense à la soirée gâchée par l’intolérance du lycée. Pourquoi une robe à fleurs dérange-t-elle autant ? Pourquoi doit-on tous rentrer dans le même moule pour être acceptés ?
En rentrant chez moi, je trouve maman assise dans la cuisine, inquiète.
— Ça s’est bien passé ?
Je m’effondre dans ses bras et lui raconte tout. Elle essuie mes larmes et me dit doucement :
— Tu es belle telle que tu es, Camille. Ne laisse jamais personne te faire croire le contraire.
Cette nuit-là, je comprends que la honte ne doit pas m’appartenir. Elle appartient à ceux qui jugent sans comprendre.
Aujourd’hui encore, je repense souvent à cette soirée. À cette injustice ordinaire qui blesse tant d’adolescents en France : le regard des autres, les normes absurdes imposées par les adultes.
Et vous ? Avez-vous déjà ressenti cette honte injuste à cause de votre apparence ou de vos choix ? Pourquoi la différence dérange-t-elle autant dans notre société ?