Entre ma belle-mère et moi : Quand mon mari a choisi sa mère
« Tu comprends, Lucie, je n’ai pas le choix. Maman a besoin de moi. »
Sa voix tremblait, mais ses yeux évitaient les miens. Je serrais la tasse de café entre mes mains, assise à la table de notre cuisine, cette cuisine où nous avions ri, pleuré, partagé tant de souvenirs. Sébastien, mon mari depuis huit ans, se tenait debout, prêt à partir. Sa valise était déjà dans l’entrée.
« Et moi ? » ai-je murmuré, la gorge serrée. « Tu as pensé à moi ? À nous ? »
Il a soupiré, passant une main nerveuse dans ses cheveux bruns. « Ce n’est pas contre toi. Mais maman… Elle ne peut plus rester seule. »
Monique, sa mère, venait d’être diagnostiquée d’une maladie dégénérative. Depuis ce jour, tout avait changé. Sébastien passait ses soirées chez elle, puis ses nuits. Petit à petit, il avait emporté ses affaires, jusqu’à ce matin où il m’annonçait qu’il ne rentrerait plus à la maison.
Je suis restée seule dans notre appartement de Lyon, entourée de ses souvenirs et du silence. Les jours suivants ont été un supplice. Je me suis surprise à détester Monique, cette femme qui m’avait pourtant accueillie comme une fille au début. Je me sentais coupable de cette haine sourde, mais elle grandissait chaque fois que je voyais Sébastien s’éloigner un peu plus.
Les amis communs ne comprenaient pas. « Il fait ce qu’il faut pour sa mère », disait Julie, ma meilleure amie. « Tu devrais être fière de lui. » Mais comment être fière quand on se sent abandonnée ?
Un soir, j’ai craqué. J’ai appelé Sébastien.
— Tu comptes revenir un jour ?
— Je ne sais pas… Maman va de plus en plus mal.
— Et moi dans tout ça ?
— Lucie… Je t’aime, mais je ne peux pas la laisser.
J’ai raccroché en larmes. J’avais l’impression d’être invisible, d’être devenue un détail dans sa vie.
Les semaines sont passées. Je me suis réfugiée dans le travail, mais chaque soir en rentrant, l’appartement semblait plus froid. Un jour, j’ai croisé Monique à la pharmacie du quartier. Elle était amaigrie, le visage tiré par la fatigue et la maladie.
— Lucie… Merci de laisser Sébastien avec moi. Je sais que ce n’est pas facile.
Ses mots m’ont frappée en plein cœur. Elle n’était pas mon ennemie. Elle souffrait aussi.
J’ai commencé à lui rendre visite avec Sébastien certains dimanches. Au début, c’était tendu. Je me sentais étrangère dans cet appartement rempli de photos de famille où je n’apparaissais presque jamais. Mais peu à peu, j’ai vu Sébastien s’épuiser à force de tout gérer : les soins, les papiers administratifs, les courses.
Un soir, alors que Monique dormait enfin après une crise douloureuse, il s’est effondré sur le canapé.
— Je n’en peux plus… J’ai l’impression de perdre pied.
Je me suis assise près de lui et j’ai pris sa main.
— Tu n’es pas seul, tu sais ?
Il m’a regardée avec des yeux fatigués mais pleins de gratitude.
C’est à ce moment-là que j’ai compris : ce n’était pas un choix entre elle et moi. C’était une épreuve qui nous dépassait tous les deux.
J’ai proposé d’aider davantage : prendre des rendez-vous médicaux, organiser des relais avec une aide-soignante du quartier, demander conseil à l’assistante sociale de la mairie du 3e arrondissement. Petit à petit, la pression est retombée.
Mais notre couple avait changé. Les disputes étaient fréquentes :
— Tu ne me parles plus comme avant !
— Comment veux-tu que je fasse ? Je n’ai plus d’énergie !
— Et moi alors ? J’existe encore ?
Un soir d’automne, après une énième dispute, j’ai fait ma valise et je suis partie chez Julie. J’avais besoin de respirer.
C’est là-bas que j’ai réalisé que je m’étais oubliée dans cette histoire. J’avais mis mes besoins de côté pour soutenir Sébastien et Monique, mais qui prenait soin de moi ?
Après quelques jours loin de tout, j’ai écrit une lettre à Sébastien :
« Je t’aime toujours mais je ne peux pas continuer ainsi. Nous devons trouver un équilibre ou nous perdrons tout ce qui nous reste. »
Il m’a appelée le lendemain.
— Tu as raison… On doit parler.
Nous avons décidé d’aller voir un conseiller conjugal du centre social du quartier. Les séances ont été difficiles mais salutaires. Nous avons appris à exprimer nos besoins sans culpabiliser l’autre.
Monique a accepté l’aide d’une auxiliaire de vie plusieurs fois par semaine. Sébastien a pu revenir certains soirs à la maison. Nous avons retrouvé peu à peu une forme de normalité — différente certes, mais plus juste pour chacun.
Aujourd’hui encore, il y a des jours où la jalousie et la solitude me rongent. Mais j’ai compris que l’amour se construit aussi dans l’épreuve et le compromis.
Parfois je me demande : combien d’entre vous ont déjà eu l’impression d’être relégués au second plan par le devoir familial ? Est-ce égoïste de vouloir exister pleinement dans le cœur de l’autre ?