Entre les murs : quand les cadeaux du voisin font éclater le foyer

« Tu vas encore me dire que tu n’y es pour rien ? » La voix de Luc résonne dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la boîte de chocolats dans mes mains, le papier doré froissé sous mes doigts tremblants. Il est 19h, la lumière du soir filtre à travers les stores, dessinant des ombres sur le carrelage.

« Luc, je t’assure, je n’ai rien demandé ! Paul est juste… gentil. » Ma voix se brise. Gentil ? Ou envahissant ? Je ne sais plus. Depuis trois semaines, chaque matin ou presque, je trouve un bouquet de pivoines ou une boîte de macarons sur le paillasson. Toujours accompagné d’un petit mot : « Pour égayer votre journée. – Paul ».

Luc s’approche, son visage fermé. « Gentil ? Tu trouves ça normal qu’un homme marié offre des fleurs à sa voisine tous les jours ? Tu crois que je suis idiot ? »

Je baisse les yeux. Je sens la colère de Luc, mais aussi sa peur. Peur de me perdre ? Peur d’être trahi ? Ou simplement blessé dans sa fierté ?

Le soir tombe sur notre appartement du 7ème arrondissement. J’entends les bruits de la ville, les klaxons lointains, les rires des enfants dans la cour. Mais ici, tout est tendu, comme si l’air lui-même était devenu irrespirable.

Je repense à la première fois où Paul m’a offert des fleurs. C’était après la réunion de copropriété, il y a un mois. Il m’avait aidée à porter une caisse d’archives jusqu’à l’ascenseur. « Vous méritez bien un petit bouquet après tout ce travail », avait-il dit en souriant. J’avais ri, flattée et un peu gênée. Mais je n’y avais vu qu’une gentillesse maladroite.

Depuis, les cadeaux se sont enchaînés. Un matin, alors que je sortais les poubelles, il m’a tendu une rose blanche : « Pour la plus belle voisine de l’immeuble. » J’ai rougi, j’ai bafouillé un merci, et j’ai filé sans oser croiser son regard.

Luc a tout de suite remarqué le manège. Il a commencé par plaisanter : « Tu vas ouvrir une boutique de fleurs à force ! » Mais très vite, l’humour a laissé place à l’agacement, puis à la suspicion.

Un soir, alors que je rangeais les courses dans la cuisine, il a claqué la porte du frigo : « Tu pourrais au moins lui dire d’arrêter ! »

J’ai essayé d’en parler à Paul. Un matin, je l’ai croisé dans l’ascenseur.

— Paul… C’est gentil vos attentions, mais…
— Oh, ce n’est rien ! Ça me fait plaisir. Et puis Luc a l’air d’avoir beaucoup de travail en ce moment… Je me dis que ça vous change les idées.

J’ai senti une gêne monter en moi. Comment lui expliquer que ses cadeaux empoisonnent mon quotidien ? Que chaque bouquet est une étincelle de plus dans l’incendie qui consume mon couple ?

Le week-end dernier, tout a explosé. Nous étions invités chez mes parents à Villeurbanne pour fêter l’anniversaire de ma mère. Luc n’a pas décroché un mot du repas. Sur le chemin du retour, il a lâché : « Tu sais quoi ? Si tu veux tant que ça ses fleurs et ses chocolats, va donc vivre chez lui ! »

J’ai pleuré toute la nuit. Je me suis sentie coupable et impuissante. Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à mettre fin à cette situation ? Est-ce ma faute si Paul ne comprend pas les limites ? Ou est-ce Luc qui voit le mal partout ?

Le lundi matin, j’ai trouvé un nouveau bouquet sur le paillasson. Cette fois-ci, j’ai frappé chez Paul.

— Paul, il faut qu’on parle.
Il m’a ouvert avec son sourire habituel.
— Claire ! Vous allez bien ?
— Non justement… Vos cadeaux posent problème entre Luc et moi. Je vous demande d’arrêter.
Son sourire s’est éteint.
— Je ne voulais pas… Je suis désolé si j’ai causé des soucis.

Je suis rentrée chez moi soulagée mais aussi triste. Triste d’avoir blessé quelqu’un qui ne voulait peut-être qu’apporter un peu de lumière dans ma vie monotone.

Mais le mal était fait. Luc restait distant, méfiant. Les silences s’allongeaient entre nous comme des gouffres impossibles à combler.

Un soir, alors que je préparais le dîner, il a posé sa main sur la mienne.
— Tu sais… Ce n’est pas vraiment Paul qui me fait peur. C’est l’idée que tu puisses avoir envie d’autre chose…
J’ai senti mes yeux se remplir de larmes.
— Luc… Je t’aime. Mais j’ai besoin que tu me fasses confiance.
Il a hoché la tête sans rien dire.

Aujourd’hui encore, je me demande comment on en est arrivé là. Est-ce vraiment si facile de briser un couple avec quelques fleurs et des chocolats ? Ou est-ce que ces cadeaux n’ont fait que révéler ce qui couvait déjà sous la surface ?

Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ? Est-ce à moi seule de porter le poids de cette histoire ?