Entre Deux Feux : Mon Cœur, Son Fils et Moi

« Tu n’es pas ma mère, alors arrête de faire comme si tu pouvais me dire quoi faire ! »

La voix de Lucas résonne encore dans le salon, tranchante comme une lame. Je reste figée, la main tremblante sur la poignée de la porte, le cœur battant à tout rompre. Julien, mon compagnon depuis deux ans, se tient entre nous, les bras ballants, le regard fuyant. Ce soir-là, tout bascule. Je sens que l’équilibre fragile de notre famille recomposée vient de s’effondrer.

Je m’appelle Camille, j’ai trente-trois ans, et je croyais avoir trouvé l’amour avec Julien. Nous nous sommes rencontrés à Lyon lors d’un vernissage ; il m’a fait rire comme personne. Mais il avait un passé : un divorce difficile et un fils de douze ans, Lucas. Au début, je trouvais Lucas timide, presque attendrissant. Mais très vite, il a dressé entre nous un mur invisible fait de silences et de regards noirs.

« Tu veux qu’on en parle ? » demande Julien d’une voix lasse après que Lucas a claqué la porte de sa chambre.

Je m’effondre sur le canapé. « Je fais tout pour lui plaire… J’ai même arrêté de travailler tard pour être là quand il rentre du collège. Mais il me déteste. »

Julien soupire. « Il a du mal depuis la séparation avec son père… Il faut lui laisser du temps. »

Mais combien de temps ? Cela fait huit mois que j’essaie d’apprivoiser Lucas. J’ai organisé des sorties au parc de la Tête d’Or, préparé ses plats préférés – enfin, ceux que son père m’a dit qu’il aimait – et même supporté ses silences pendant les repas. Rien n’y fait.

Un soir, alors que je rentre du travail plus tôt que prévu, je surprends Lucas en train de fouiller dans mon sac à main.

« Qu’est-ce que tu fais ? »

Il me lance un regard de défi. « Je cherchais mon chargeur. »

Je sais qu’il ment. Je sens la colère monter, mais je ravale mes mots. Je ne veux pas être celle qui crie. Pas devant lui.

Le week-end suivant, nous sommes invités chez les parents de Julien à Annecy. Sa mère, Françoise, m’accueille avec un sourire pincé. « Alors Camille, toujours pas d’enfants à toi ? »

Je sens la pique derrière la question. Je souris poliment. « Non, mais Lucas me tient déjà bien occupée… »

Lucas ricane dans son coin. Plus tard dans la soirée, je l’entends dire à sa grand-mère : « Elle veut juste prendre la place de maman. »

Je me sens invisible et coupable à la fois. Comme si aimer Julien était déjà une trahison envers ce garçon qui refuse de m’accepter.

Les disputes deviennent plus fréquentes entre Julien et moi. Un soir, alors que Lucas a encore refusé de manger ce que j’ai préparé, je craque :

« Tu ne peux pas continuer à le laisser me manquer de respect ! »

Julien hausse le ton : « Tu sais très bien qu’il souffre ! Ce n’est pas facile pour lui non plus ! »

Je pars en claquant la porte. Dans la rue, sous la pluie battante, je me demande si je suis en train de tout perdre pour un enfant qui ne veut pas de moi.

Un jour, je décide d’aller chercher Lucas au collège pour essayer d’avoir une vraie conversation avec lui. Il grimace en me voyant.

« Tu veux quoi ? »

« Juste parler… Je sais que ce n’est pas facile pour toi non plus. Mais je ne veux pas te remplacer. Je veux juste qu’on puisse vivre ensemble sans se détester… »

Il détourne les yeux. « Tu ne comprends rien. Papa n’est plus pareil depuis que t’es là. Il rigole moins… Il pense qu’à toi ! »

Je reste sans voix. Je n’avais jamais vu les choses sous cet angle.

Le soir même, j’en parle à Julien.

« Tu crois vraiment que tu passes moins de temps avec lui ? »

Julien hésite. « Peut-être… Je voulais te montrer que tu comptais aussi… »

Nous décidons alors d’instaurer des moments père-fils rien qu’à eux deux. Petit à petit, Lucas se détend un peu. Mais il y a toujours des rechutes : des crises de colère, des silences pesants.

Un dimanche matin, alors que je prépare le petit-déjeuner, Lucas s’approche timidement.

« Camille… Tu peux m’aider pour mon exposé d’histoire ? »

Mon cœur se serre. « Bien sûr ! »

Ce n’est pas une victoire éclatante, mais c’est un début.

Pourtant, rien n’est jamais acquis dans une famille recomposée. Les fêtes sont des épreuves : qui va chez qui à Noël ? Comment gérer la jalousie de l’ex-femme de Julien qui m’envoie des messages passifs-agressifs ? Et puis il y a mes propres parents qui ne comprennent pas pourquoi je m’inflige tout ça.

Un soir d’été, alors que Lucas dort enfin paisiblement et que Julien me serre dans ses bras sur le balcon, je me demande : est-ce que l’amour suffit vraiment à recoller les morceaux d’une famille brisée ? Ou bien suis-je condamnée à rester l’étrangère dans leur histoire ?

Est-ce que vous aussi vous avez déjà eu l’impression de vous battre pour une place qui n’existe pas vraiment ?