Entre deux feux : Le choix qui brûle mon âme
« Tu n’as pas honte, Camille ?! » Ma voix tremble, résonne dans la cuisine où l’odeur du café froid flotte encore. Camille, ma sœur, me fixe, les bras croisés, le regard dur comme la pierre. « Léa, tu ne comprends pas. Maman voulait que la maison me revienne. C’est écrit noir sur blanc. »
Je serre la lettre du notaire entre mes doigts, le papier froissé comme mon cœur. Tout s’effondre. Cette maison, notre enfance, nos souvenirs… Comment a-t-elle pu ? Je sens la colère monter, brûlante, incontrôlable. Je voudrais hurler, tout casser, mais je me retiens. Papa, assis dans le fauteuil, détourne les yeux, impuissant. Le silence s’installe, lourd, coupant.
Depuis la mort de maman, tout s’est fissuré. Camille et moi, autrefois inséparables, sommes devenues deux étrangères. Elle, la grande sœur parfaite, l’aînée qui a toujours tout réussi. Moi, l’ombre, la rêveuse, celle qui n’a jamais su trouver sa place. Mais là, c’est trop. Je me sens trahie, volée, abandonnée une seconde fois.
Le soir, je marche seule dans les rues de notre petit village du Loir-et-Cher. Les lampadaires jettent des halos jaunes sur les pavés mouillés. Je m’arrête devant la maison de Madame Dupuis, notre voisine. Elle m’a vue grandir, elle sait tout de nous. Je frappe, hésitante. Elle ouvre, son visage ridé s’éclaire d’un sourire triste.
« Entre, ma petite Léa. Je t’attendais. »
Dans son salon, l’odeur de la tisane et du bois brûlé me réchauffe un peu. Je craque, je raconte tout, les mots jaillissent comme une rivière en crue. Madame Dupuis m’écoute sans m’interrompre, puis pose sa main sur la mienne.
« Tu sais, Léa, il y a deux feux en chacun de nous. L’un qui détruit, l’autre qui guérit. Lequel veux-tu nourrir ? »
Je baisse les yeux. Je ne sais pas. La colère me ronge, mais le souvenir de maman me murmure de ne pas tout gâcher. Pourtant, chaque fois que je croise Camille au village, je sens la haine reprendre le dessus. Elle ne me parle plus, elle m’évite. Papa ne dit rien, il s’enferme dans son chagrin.
Les jours passent. L’ambiance à la maison est irrespirable. Un soir, je surprends une dispute entre Camille et papa. Sa voix à elle claque : « Tu prends toujours sa défense ! » Celle de papa est lasse : « Ce n’est pas ce que ta mère aurait voulu… »
Je m’enferme dans ma chambre, j’étouffe. Je repense à notre enfance : les jeux dans le jardin, les secrets partagés sous la couette, les disputes qui finissaient toujours par des rires. Où est passée cette complicité ?
Un matin, je trouve une lettre glissée sous ma porte. C’est l’écriture de Camille. « Léa, je sais que tu me détestes. Je n’ai pas voulu te blesser. Je croyais faire ce qu’il fallait pour maman… Mais je me sens seule. »
Je relis la lettre cent fois. Mon cœur se fissure un peu plus. Peut-être qu’elle souffre aussi ? Peut-être que derrière sa froideur se cache une peur immense ?
Je retourne voir Madame Dupuis. Elle me regarde longuement : « Pardonner ne veut pas dire oublier. Mais si tu restes prisonnière de ta colère, c’est toi qui te consumes. »
Je rentre chez moi, le cœur lourd. Camille est là, dans le salon, les yeux rouges. Elle se lève quand j’entre.
« Léa… »
Je sens mes larmes monter. « Pourquoi tu m’as fait ça ? »
Elle s’effondre : « J’avais peur que tu partes, que tu m’abandonnes comme maman est partie… J’ai cru que garder la maison me donnerait un peu d’elle… »
Je comprends soudain que nous sommes deux à souffrir, deux à chercher un sens à ce chaos. Je m’approche, je la prends dans mes bras. Nous pleurons ensemble, longtemps.
Les semaines suivantes sont difficiles. Il faut parler, tout remettre à plat. Papa finit par s’ouvrir aussi. Nous décidons de vendre la maison et de partager l’héritage. Ce n’est pas facile, mais c’est juste.
Aujourd’hui, je regarde le jardin une dernière fois avant de partir. Les souvenirs affluent, doux-amers. J’ai choisi de nourrir le feu qui guérit, mais parfois la colère revient, sourde et tenace.
Est-ce vraiment possible de pardonner sans jamais oublier ? Et vous, quelle flamme nourrissez-vous quand tout s’effondre autour de vous ?