Entre Deux Femmes, Mon Fils et Ma Loyauté : Le Dilemme d’une Mère Française

— Tu ne comprends donc pas, maman ? Pourquoi tu as aidé Camille, mais tu refuses de faire quoi que ce soit pour Sophie ?

La voix de mon fils, Julien, résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, cherchant mes mots. Il est déjà midi passé, mais la lumière grise de ce début de novembre n’arrive pas à réchauffer l’atmosphère.

— Ce n’est pas si simple, Julien…

Il me coupe, furieux :

— Si, c’est simple ! Tu as accueilli Camille quand elle a tout perdu, tu l’as aidée à trouver un avocat, tu as gardé les enfants. Mais Sophie ? Rien ! Tu refuses même qu’on vienne vivre ici alors qu’on n’a plus rien !

Je baisse les yeux. Je revois Camille, il y a trois ans, assise à cette même table, les yeux rougis par les larmes, tenant la main de ma petite-fille, Lucie. Julien venait de la quitter pour Sophie, une collègue rencontrée au bureau. J’avais vu la détresse de Camille, la peur de perdre ses repères, son foyer, ses enfants. J’avais agi sans réfléchir, par instinct maternel, pour elle et pour mes petits-enfants.

Mais aujourd’hui, c’est Julien qui frappe à ma porte, avec Sophie, enceinte de six mois, et leur situation financière catastrophique. Il a perdu son emploi dans l’immobilier, Sophie n’a qu’un mi-temps à la mairie. Ils n’arrivent plus à payer leur loyer. Mais ce qui me ronge, c’est cette rancœur que je ressens envers mon propre fils.

— Tu sais très bien pourquoi, Julien, je murmure. Tu n’as jamais versé la pension alimentaire à Camille. Tu as laissé ta fille manquer de tout. Comment veux-tu que je ferme les yeux ?

Il se lève brusquement, la chaise raclant le carrelage.

— Tu me fais passer pour un monstre ! Tu crois que c’est facile pour moi ? J’ai fait des erreurs, oui, mais Sophie n’y est pour rien !

Je sens les larmes monter. Je repense à toutes ces années où j’ai essayé d’être une mère juste, d’aimer mes enfants sans préférence. Mais comment pardonner à Julien d’avoir abandonné Camille et Lucie ? Comment accepter qu’il veuille aujourd’hui que je l’aide, alors qu’il n’a jamais assumé ses responsabilités ?

Sophie entre dans la cuisine, le visage fatigué, la main posée sur son ventre arrondi. Elle me regarde avec une tristesse désarmante.

— Françoise… Je sais que tout ça te pèse. Mais on n’a vraiment nulle part où aller. Je t’en supplie…

Je détourne le regard. J’entends la voix de ma fille, Claire, dans ma tête :

— Maman, tu ne peux pas tout porter sur tes épaules. Julien doit apprendre à se débrouiller. Tu as déjà fait assez.

Mais la culpabilité me ronge. Je pense à ce bébé à naître, à Sophie qui n’a rien demandé. Je pense à Lucie, qui me demande chaque week-end pourquoi son papa ne vient plus la voir.

Le soir tombe. Julien et Sophie sont partis, furieux, blessés. Je reste seule dans la cuisine, le silence pesant autour de moi. Je repense à mon propre divorce, il y a trente ans. À la honte, à la solitude, à la peur de ne pas y arriver. Ma mère m’avait alors accueillie, sans poser de questions. Est-ce que je suis en train de trahir ce que j’ai reçu ?

Le lendemain, je reçois un message de Camille :

« Merci encore pour tout ce que tu as fait pour moi et Lucie. Je ne t’oublierai jamais. »

Je fonds en larmes. Je me sens écartelée entre deux familles, deux femmes, deux enfants. Je voudrais pouvoir tout réparer, mais je sais que ce n’est pas possible.

Quelques jours plus tard, Julien revient. Il a les traits tirés, les yeux cernés. Il s’assoit en face de moi, sans un mot. Après un long silence, il murmure :

— Je suis désolé, maman. J’ai merdé. Mais j’ai peur… Peur de ne pas être à la hauteur, peur de tout perdre. Je ne sais plus quoi faire.

Je prends sa main. Pour la première fois depuis longtemps, je sens la colère s’apaiser. Je lui parle doucement :

— Tu dois assumer, Julien. Pour Lucie, pour Sophie, pour toi. Je t’aiderai, mais pas en fermant les yeux sur ce que tu as fait. Il faut que tu règles ce que tu dois à Camille. Après, on verra.

Il hoche la tête, les larmes aux yeux. Je sens que la route sera longue, mais peut-être qu’il a compris. Peut-être que moi aussi, je dois apprendre à pardonner.

Ce soir-là, je reste longtemps devant la fenêtre, à regarder les lumières de la ville. Ai-je eu raison d’être aussi dure ? Peut-on aimer ses enfants sans jamais les juger ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?