Encore une fois, la mer : le prix du silence

« Tu ne vas pas recommencer, Julien ! » Ma voix tremble, mais je ne peux plus me taire. Il est vingt-deux heures, la lumière blafarde de la cuisine éclaire nos visages fatigués. Julien évite mon regard, triturant nerveusement la poignée de la cafetière.

— Ce n’est qu’une semaine, Claire… Maman et Tante Sylvie ont déjà réservé le gîte à La Tranche-sur-Mer. Elles comptent sur nous.

Je serre les poings. Les souvenirs de l’été dernier me reviennent comme une gifle : la pluie battante, les disputes pour la chambre avec vue, les repas interminables où ma belle-mère critiquait tout, même la façon dont je coupais le pain. Je revois notre fils, Paul, pleurant parce que sa cousine avait encore pris son doudou. Et moi, épuisée, à compter les jours jusqu’au retour.

— Tu te souviens de l’an dernier ? Tu te rappelles comment ta mère m’a humiliée devant tout le monde parce que j’avais oublié d’acheter du beurre salé ?

Julien soupire, baisse la tête. Il n’ose pas répondre. Je sens la colère monter, mêlée à une tristesse sourde. Pourquoi dois-je toujours être celle qui cède ?

Le téléphone vibre. Un message de ma belle-mère : « Claire, n’oublie pas de préparer les draps pour tout le monde. On compte sur toi pour les repas du dimanche ! »

Je ris, un rire amer. Préparer, organiser, supporter… Toujours moi. Jamais un mot de remerciement. Jamais un geste pour m’aider. Je me sens piégée, comme si mes vacances ne m’appartenaient plus.

Julien tente de poser sa main sur la mienne. Je la retire.

— Tu pourrais leur dire non, pour une fois. Tu pourrais dire que nous avons besoin de vacances, nous aussi. Juste nous trois.

Il hésite, puis murmure :

— Tu sais bien que Maman ne comprendrait pas. Elle dirait que tu veux nous séparer de la famille.

Je me lève brusquement, la chaise grince sur le carrelage. Je me dirige vers la fenêtre, regarde la nuit noire. Les lumières des voisins s’éteignent une à une. Je me sens seule, incomprise.

Le lendemain, au travail, je n’arrive pas à me concentrer. Ma collègue, Sophie, me demande ce qui ne va pas. Je lui raconte, à demi-mot. Elle rit doucement :

— Ah, les vacances en famille… Moi, j’ai posé mes limites. Cette année, c’est la Corse avec mon mari, point barre. Tu devrais essayer.

Je l’envie. Pourquoi est-ce si facile pour elle ? Pourquoi ai-je si peur de décevoir ?

Le soir, je retrouve Julien dans le salon. Il regarde un match de foot, l’air absent. Je m’assieds à côté de lui.

— Julien, écoute-moi. Je ne veux pas y aller. Je ne veux plus sacrifier mes vacances, ni nos économies, pour satisfaire ta mère et ta tante. J’ai besoin de repos, de temps pour nous.

Il me regarde enfin, vraiment. Dans ses yeux, je vois la fatigue, la peur du conflit. Mais aussi une lueur de compréhension.

— Je comprends, Claire. Mais… si je leur dis non, elles vont mal le prendre. Tu sais comment elles sont.

— Et moi ? Tu penses à moi ?

Un silence lourd s’installe. Paul entre dans la pièce, son doudou à la main.

— Maman, on va à la mer ?

Je m’accroupis, le prends dans mes bras.

— On ira à la mer, mon chéri. Mais peut-être pas avec tout le monde cette fois.

Julien soupire, se lève, quitte la pièce. Je sens les larmes monter. Pourquoi est-ce si difficile de s’affirmer ? Pourquoi dois-je choisir entre mon bonheur et celui des autres ?

Le lendemain, la tante Sylvie appelle. Sa voix perce le combiné, aiguë, pressante :

— Claire, tu as vu la météo ? Il va faire beau cette année ! Et puis, tu sais, ce serait bien que tu t’occupes des enfants pendant qu’on va au marché avec ta belle-mère.

Je prends une grande inspiration.

— Sylvie, cette année, je ne viendrai pas. Nous avons besoin de vacances, juste nous trois.

Un silence choqué. Puis elle explose :

— Mais enfin, tu ne peux pas nous faire ça ! Tu sais comme ta belle-mère compte sur toi !

— Je suis désolée. Mais c’est non.

Je raccroche, tremblante. J’ai envie de pleurer et de rire à la fois. J’ai dit non. Pour la première fois.

Julien rentre plus tard. Il a l’air soucieux.

— Maman est furieuse. Elle dit que tu es égoïste.

Je le regarde droit dans les yeux.

— Peut-être qu’il est temps que je le sois un peu.

Il ne répond pas. Mais il s’assied à côté de moi, pose sa main sur la mienne. Un geste timide, mais sincère.

Les jours passent. Les messages de la belle-famille se font plus rares, plus froids. Mais je me sens légère, libérée d’un poids. Pour la première fois depuis des années, je commence à rêver à nos vacances : une petite maison en Bretagne, des balades sur la plage, juste nous trois.

Je me demande : pourquoi est-ce si mal vu, en France, de poser ses limites face à la famille ? Pourquoi le bonheur des autres devrait-il toujours passer avant le nôtre ? Peut-être est-il temps que ça change… Qu’en pensez-vous ?