Dernier rayon de soleil : Comment j’ai dit adieu à ma fille dans les larmes et l’espérance

« Maman, pourquoi tu pleures ? » La voix de Camille, à peine un souffle, résonne encore dans ma tête. Je serre sa petite main froide, allongée sur ce lit d’hôpital à la Pitié-Salpêtrière, entourée de machines qui clignotent, qui bipent, qui me rappellent que chaque seconde compte. Je voudrais hurler, tout casser, mais je n’ai plus de force. Mon mari, Julien, est assis dans le coin, les yeux rouges, le visage creusé par la fatigue et la peur. Il n’ose pas me regarder. Nous sommes là, deux parents brisés, impuissants devant l’inacceptable.

Tout a commencé il y a trois jours. Camille avait de la fièvre, rien d’alarmant. Mais soudain, elle s’est effondrée dans le salon. Le SAMU est arrivé en dix minutes. Dix minutes où j’ai cru mourir mille fois. À l’hôpital, les médecins ont parlé d’une méningite fulgurante. Je ne comprenais pas. Comment une enfant si pleine de vie pouvait-elle être emportée si vite ?

Les heures se sont enchaînées dans une brume épaisse. Les médecins entraient et sortaient, parlaient à voix basse. J’ai surpris des mots : « pronostic vital engagé », « séquelles irréversibles ». J’ai refusé d’y croire. Je me suis accrochée à chaque mouvement de ses paupières, à chaque soupir.

La nuit dernière, le neurologue est venu nous voir. Il s’est assis au bord du lit, a posé une main sur mon épaule :
— Madame Lefèvre, il faut qu’on parle…

Je savais déjà. Je l’ai vu dans ses yeux. Il m’a expliqué que Camille ne reviendrait pas. Que son cerveau avait cessé de fonctionner. Que son cœur battait encore grâce aux machines.

Julien a éclaté en sanglots. Moi, je suis restée figée. Comme si mon corps refusait d’accepter la réalité.

C’est alors qu’ils ont abordé le sujet du don d’organes. J’ai cru qu’on me poignardait une deuxième fois. Comment pouvais-je penser à ça alors que ma fille était encore là, devant moi ? Mais le médecin a parlé doucement :
— Camille pourrait sauver d’autres vies…

Je me suis levée d’un bond :
— Vous croyez que ça va m’aider ? Que ça va effacer la douleur ?

Il a baissé les yeux :
— Non, mais parfois, ça donne un sens à l’insupportable.

Julien n’a rien dit. Il m’a juste pris la main. Nous avons passé la nuit à discuter, à pleurer, à nous souvenir de tout : son premier sourire, ses pas hésitants dans le jardin du Luxembourg, ses éclats de rire quand elle courait après les pigeons.

Au matin, j’ai regardé Camille une dernière fois. J’ai caressé ses cheveux blonds, j’ai embrassé ses joues froides.
— Ma chérie… Tu vas continuer à vivre dans le cœur des autres enfants.

J’ai signé les papiers avec des mains tremblantes.

Les jours suivants ont été un brouillard de démarches administratives, de visites de proches qui ne savaient pas quoi dire. Ma mère est venue de Lyon en urgence. Elle m’a serrée contre elle comme quand j’étais petite :
— On n’est pas faits pour survivre à nos enfants…

Mon père est resté silencieux, les yeux perdus dans le vide. Mon frère Pierre a explosé de colère :
— Pourquoi vous avez accepté ?! On aurait pu attendre un miracle !

J’ai crié aussi :
— Parce que je ne voulais pas que sa mort soit vaine ! Parce qu’elle aurait voulu aider !

La famille s’est divisée. Certains ont compris mon choix, d’autres m’en veulent encore aujourd’hui.

Les semaines ont passé. J’ai reçu une lettre anonyme : « Merci pour ce don inestimable. Grâce à vous, notre fils vit. » J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps en lisant ces mots. J’ai compris que Camille était toujours là, quelque part.

Mais la douleur ne disparaît jamais vraiment. Chaque matin, je me réveille avec ce vide immense. Je regarde la chambre vide de Camille, ses jouets alignés sur l’étagère, son doudou posé sur l’oreiller.

Julien et moi essayons de reconstruire quelque chose. Parfois on se dispute pour un rien ; parfois on s’effondre ensemble sur le canapé en silence. On a commencé une thérapie familiale à la mairie du 13ème arrondissement. On parle peu mais on avance doucement.

Un soir d’automne, alors que Paris s’endort sous la pluie fine, je me surprends à sourire en pensant à Camille qui aurait sûrement sauté dans les flaques avec ses bottes rouges.

Est-ce que j’ai fait le bon choix ? Est-ce que donner une partie de son enfant permet vraiment de survivre à l’absence ? Peut-on un jour se pardonner d’avoir laissé partir ce qu’on aime le plus au monde ?