Décider de divorcer… L’histoire de Claire, mère sur un HLM de la banlieue parisienne
« Tu vas encore rentrer tard ? » Ma voix tremble à peine, mais dans le salon exigu de notre appartement du huitième étage, chaque mot résonne comme une gifle. Pierre ne me regarde même pas. Il enfile sa veste, attrape machinalement ses clés. « J’ai du boulot, Claire. »
Je sais qu’il ment. Depuis des mois, il rentre de plus en plus tard. Parfois, il ne rentre pas du tout. Je me suis habituée à ses absences, à ses silences, à l’odeur d’un parfum qui n’est pas le mien sur ses chemises. Mais ce soir, alors que notre fils Lucas joue dans sa chambre, je sens que quelque chose a basculé.
Je ferme les yeux et j’écoute le bruit sourd de la porte d’entrée qui claque. Le silence s’installe, lourd et oppressant. Je m’effondre sur le canapé, les mains tremblantes. Comment en sommes-nous arrivés là ?
Il y a dix ans, Pierre et moi étions inséparables. Nous avions emménagé dans ce HLM de la banlieue parisienne avec des rêves plein la tête : un enfant, une vie simple mais heureuse. Mais la routine, les factures, les disputes pour des broutilles… Tout s’est effrité sans que je m’en rende compte.
Lucas entre dans le salon, traînant son doudou derrière lui. « Maman, il est où papa ? »
Je ravale mes larmes et tente un sourire. « Il travaille tard ce soir, mon cœur. Viens là. » Je le serre contre moi, sentant sa chaleur, son innocence. Pour lui, je dois tenir bon. Mais combien de temps encore ?
Les jours passent, identiques et gris. Pierre ne parle plus qu’en monosyllabes. Les repas se font dans un silence glacial. Je me surprends à envier les familles heureuses que je croise à la sortie de l’école.
Un soir, alors que je range la cuisine, j’entends Pierre au téléphone dans l’entrée. Sa voix est douce, presque tendre – une voix qu’il n’a plus pour moi depuis longtemps.
« Oui, moi aussi… À demain. »
La colère me submerge. Je sors de la cuisine, le fixe droit dans les yeux.
« Tu me prends pour une idiote ? »
Il soupire, lève les yeux au ciel. « Pas ce soir, Claire… »
Mais ce soir-là, c’est trop. Les mots sortent tout seuls :
« Je n’en peux plus ! On ne fait que se détruire… Tu ne m’aimes plus, Pierre. Et moi… je ne sais même plus qui je suis à force de t’attendre ! »
Il reste muet un instant puis lâche : « Si tu veux qu’on arrête tout… »
Le lendemain matin, je me regarde dans le miroir de la salle de bain. Mes cernes sont profonds, mes yeux rougis par les larmes. Mais au fond de moi, une petite voix me souffle que je dois penser à Lucas… et à moi.
J’appelle ma sœur, Sophie. Elle habite à Créteil avec ses deux enfants et son mari. Elle a toujours été mon roc.
« Claire… tu n’es pas seule. Viens passer le week-end à la maison avec Lucas. Prends du recul. »
Chez Sophie, tout semble plus simple. Les rires des enfants résonnent dans l’appartement lumineux. Son mari prépare le dîner pendant qu’elle m’écoute vider mon sac.
« Tu sais… rester pour Lucas si tu es malheureuse, ce n’est pas lui rendre service », me dit-elle doucement.
Je pleure longtemps ce soir-là. Mais pour la première fois depuis des mois, je sens que je ne suis pas folle d’y penser.
Le lundi matin, je prends rendez-vous avec une assistante sociale du quartier. Elle m’explique mes droits, les démarches à suivre pour demander le divorce et organiser la garde de Lucas.
Je rentre chez moi avec un dossier rempli de papiers et une boule au ventre.
Pierre est là, assis dans le salon. Il regarde la télévision sans vraiment la regarder.
« On doit parler », dis-je d’une voix ferme.
Il coupe le son et me fixe enfin.
« Je veux divorcer », j’annonce d’un trait.
Il ne dit rien pendant un long moment puis murmure : « Je m’en doutais… »
Les semaines suivantes sont un tourbillon d’émotions contradictoires : soulagement d’avoir osé, peur de l’avenir, tristesse pour Lucas qui ne comprend pas pourquoi papa ne dort plus à la maison.
Un soir où il pleut fort sur les vitres du salon, Lucas vient se blottir contre moi.
« Maman… tu vas pleurer encore longtemps ? »
Je caresse ses cheveux blonds et lui murmure : « Non mon cœur… Maman va aller mieux maintenant. »
Petit à petit, j’apprends à vivre seule avec mon fils. Les fins de mois sont difficiles ; il faut jongler entre mon travail à mi-temps à la mairie et les courses au supermarché discount du coin. Mais il y a aussi des moments de bonheur simple : un dessin offert par Lucas, un café partagé avec Sophie le dimanche matin.
Parfois je doute encore : ai-je fait le bon choix ? Aurais-je pu sauver notre famille ? Mais quand je vois Lucas rire aux éclats ou quand je sens enfin mon cœur s’alléger un peu, je me dis que j’ai eu raison d’écouter cette petite voix en moi.
Et vous… jusqu’où seriez-vous prêts à aller pour retrouver votre liberté ? Peut-on vraiment reconstruire sa vie après avoir tout quitté ?