De l’Ombre à la Lumière : Mon Combat contre la Mucoviscidose
« Tu ne vivras pas jusqu’à vingt ans, Éloi. » Les mots du professeur Morel résonnent encore dans ma tête, comme un écho glacial. J’avais dix ans, assis sur ce lit d’hôpital, les mains moites de ma mère serrant les miennes. Mon père, silencieux, fixait le sol. Je me souviens avoir voulu hurler, mais aucun son n’est sorti. À cet instant, j’ai compris que ma vie ne serait jamais ordinaire.
La mucoviscidose, ce mot imprononçable qui allait devenir mon quotidien. Les traitements, les rendez-vous médicaux, les absences à l’école… J’ai vu mes amis s’éloigner, gênés par ma toux persistante et mes séjours répétés à l’hôpital. « Tu rates encore les cours ? » me lançait parfois Camille, mi-inquiète, mi-agacée. Je répondais par un sourire forcé, cachant la honte et la colère qui me rongeaient.
À la maison, l’ambiance était électrique. Ma mère, Claire, veillait sur moi comme une louve. Mon père, Gérard, s’enfermait dans le silence ou s’énervait pour un rien. « On ne peut pas continuer comme ça ! » criait-il un soir où je faisais une crise respiratoire. « Ce n’est pas sa faute ! » lui répondait ma mère en larmes. Moi, je me sentais coupable d’être le centre de cette tempête.
Les années ont passé. J’ai appris à vivre avec la douleur et la peur. Mais surtout, j’ai découvert la force de l’écriture. Dans mon journal intime, je déversais mes angoisses :
« Aujourd’hui encore, j’ai failli m’étouffer en montant les escaliers. Est-ce que je verrai un jour la mer ? Est-ce que j’aurai le droit d’aimer ? »
Au lycée Victor Hugo, certains profs me prenaient en pitié. D’autres me poussaient à bout. Madame Lefèvre, prof de français, m’a dit un jour : « Éloi, tu as une voix singulière. Utilise-la ! » C’est elle qui m’a inscrit au concours d’éloquence. Ce soir-là, devant tout le lycée, j’ai parlé de la vie fragile et précieuse des enfants malades. J’ai vu des larmes dans les yeux de mes camarades. Pour la première fois, je n’étais plus seulement « le malade ».
Mais la maladie ne m’a jamais laissé de répit. À dix-sept ans, j’ai frôlé la mort lors d’une infection pulmonaire. J’ai passé trois mois en réanimation. Ma sœur Lucie venait chaque jour me lire les articles du Monde et me raconter les potins du quartier :
— Tu sais que Paul sort avec Inès ?
— Non…
— Si ! Et tu sais quoi ? Il t’admire beaucoup.
Ces petits moments m’ont donné la force de tenir.
Contre toute attente, j’ai décroché mon bac avec mention très bien. La fierté dans les yeux de mes parents valait tous les traitements du monde. Mais le plus dur restait à venir : intégrer Sciences Po Paris. Beaucoup pensaient que c’était impossible pour moi.
À Paris, j’ai découvert une autre forme de solitude : celle du jeune provincial malade dans une ville qui ne s’arrête jamais. Les escaliers du métro étaient mon Everest quotidien. Mais j’ai aussi rencontré des amis incroyables : Sarah, qui m’a initié aux débats politiques ; Mehdi, toujours prêt à porter mon sac quand je n’en pouvais plus ; et surtout Jeanne.
Jeanne… Elle était en master de journalisme et avait ce rire qui réchauffe tout autour d’elle. Un soir d’hiver, alors que je suffoquais après une crise :
— Tu veux qu’on aille à l’hôpital ?
— Non… Reste juste là.
Elle est restée toute la nuit à mes côtés, sans rien dire. C’est elle qui m’a poussé à écrire pour le journal étudiant.
Peu à peu, mes articles sur le handicap et l’inclusion ont fait parler d’eux. Un jour, j’ai reçu un mail inattendu :
« Monsieur Dubois,
Votre plume nous a touchés. Nous aimerions vous rencontrer pour un stage au Figaro.
Bien à vous,
Romain Lefort »
J’ai failli tomber de ma chaise.
Le stage s’est transformé en CDD puis en CDI. À vingt-deux ans, contre tous les pronostics, j’étais major de ma promo et journaliste reconnu à Paris.
Mais le prix à payer était lourd : fatigue chronique, hospitalisations régulières… Un soir, alors que je rentrais chez moi après une longue journée de bouclage, mon père m’a appelé :
— Tu vas trop loin, Éloi ! Pense à ta santé !
— Papa… Je veux vivre comme les autres.
— Mais tu n’es pas comme les autres !
J’ai raccroché en larmes.
Aujourd’hui encore, je me demande si ce combat permanent vaut la peine d’être mené. Mais quand je reçois des messages de jeunes malades qui me disent : « Grâce à toi, j’ose rêver », je me dis que oui.
Et vous ? Jusqu’où seriez-vous prêts à aller pour vivre pleinement malgré l’adversité ?