Dans l’ombre de la maladie : Comment j’ai cherché la lumière quand Maman est tombée malade
« Tu crois qu’on va s’en sortir, Paul ? » La voix de ma petite sœur Camille tremblait dans le couloir glacé de l’hôpital Saint-Joseph, à Marseille. Je n’avais pas de réponse. Devant nous, la porte de la chambre 312 semblait infranchissable, comme si elle gardait jalousement le peu d’espoir qui nous restait.
Tout avait commencé une semaine plus tôt. Un matin d’avril, alors que le soleil filtrait à peine à travers les volets de notre appartement du quartier de la Belle-de-Mai, Maman s’était effondrée dans la cuisine. J’avais entendu le bruit sourd de sa chute, suivi du cri paniqué de Camille. En courant vers elle, j’ai vu son visage pâle, ses yeux perdus. « Paul… j’ai mal… »
Les pompiers sont arrivés vite. Leurs gestes étaient précis, presque mécaniques. Je me souviens avoir serré la main de Camille si fort qu’elle en a eu des marques rouges. Papa n’était pas là – il travaillait à l’usine, comme toujours. C’est moi qui ai dû appeler. Sa voix s’est brisée au téléphone : « Tiens bon, mon grand. Je rentre tout de suite. »
À l’hôpital, les médecins ont parlé de mots que je ne comprenais pas : leucémie aiguë, chimiothérapie, aplasie. Maman a souri faiblement : « Ne t’inquiète pas, mon chéri. Je vais me battre. » Mais dans ses yeux, j’ai vu la peur.
Les jours suivants se sont enchaînés dans une routine absurde : école le matin, hôpital l’après-midi, devoirs le soir. Papa s’est enfermé dans le silence. Il ne parlait plus qu’avec des gestes brusques et des soupirs lourds. Camille pleurait souvent la nuit. Moi, je priais en cachette – moi qui n’avais jamais cru à grand-chose. « S’il te plaît, Dieu, ne prends pas ma mère… »
Un soir, alors que je rentrais de l’hôpital, j’ai surpris une dispute entre Papa et Mamie Jeanne dans la cuisine.
— Tu dois être fort pour tes enfants !
— Et comment tu veux que je fasse ?! J’suis pas un héros, moi !
— Elle a besoin de toi !
J’ai claqué la porte de ma chambre pour ne pas entendre la suite. Mais les mots résonnaient encore dans ma tête : « J’suis pas un héros… » Moi non plus.
À l’école, les copains évitaient mon regard. Seul Mehdi osait encore m’adresser la parole.
— Ça va chez toi ?
— Non.
— Si tu veux parler…
Mais je n’avais pas envie de parler. J’avais envie de hurler.
Le pire, c’était les visites à l’hôpital. L’odeur du désinfectant me donnait la nausée. Maman perdait ses cheveux par poignées. Elle essayait de plaisanter : « Regarde, Paul, je vais finir chauve comme ton oncle Gérard ! » Mais son rire sonnait faux.
Un dimanche matin, alors que je lisais à voix haute un poème de Prévert pour elle, elle m’a interrompu :
— Tu sais, mon cœur… Si jamais il m’arrive quelque chose…
— Arrête !
— Écoute-moi… Tu dois veiller sur Camille et sur Papa. Tu es fort.
— Non ! Je veux pas être fort ! Je veux juste que tu guérisses !
J’ai éclaté en sanglots. Elle m’a serré contre elle aussi fort qu’elle le pouvait.
Les semaines ont passé. Les médecins parlaient d’espoir mais aussi de rechute possible. À la maison, tout était à l’envers : Papa oubliait de faire les courses, Camille refusait de manger. J’ai dû apprendre à cuisiner des pâtes et à faire tourner une machine à laver.
Un soir d’orage, alors que je rangeais la chambre de Maman pour son retour en permission, j’ai trouvé une lettre cachée sous son oreiller.
« Mon Paul,
Si tu lis ces mots, c’est que je ne peux plus te les dire en face. Sache que je t’aime plus que tout au monde. La vie est injuste parfois, mais il faut continuer à aimer et à espérer. Prends soin de ta sœur et de ton père. Et n’oublie jamais : tu es plus courageux que tu ne le crois.
Maman »
J’ai relu ces mots des dizaines de fois cette nuit-là. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai prié non pas pour qu’elle guérisse – mais pour avoir la force d’accepter ce qui allait arriver.
Quelques jours plus tard, Maman est rentrée à la maison pour une semaine. On a ri ensemble devant un vieux film avec Louis de Funès. Elle avait maigri, mais ses yeux brillaient d’une lumière nouvelle.
Le dernier soir avant son retour à l’hôpital, elle m’a pris la main :
— Tu sais ce qui me fait tenir ?
— Non…
— C’est vous deux. Toi et Camille. Même si j’ai peur, je suis fière de vous.
Je n’ai rien répondu. J’avais trop peur que mes mots trahissent ma douleur.
Aujourd’hui, Maman se bat encore contre la maladie. Certains jours sont meilleurs que d’autres. Papa recommence à sourire un peu ; Camille dessine des soleils sur les murs du salon.
Mais moi… Je me demande souvent : est-ce qu’on est vraiment obligés d’être forts ? Est-ce qu’on a le droit d’avoir peur ? Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?