Cette nuit-là, j’ai repris mes clés : le soir où j’ai mis mon fils et ma belle-fille dehors
« Tu n’as pas honte ? » La voix de Camille résonne encore dans mon salon, froide et tranchante. Je suis restée figée sur le pas de la porte, mes sacs de courses à la main, le cœur battant trop fort. Julien, mon fils, n’a rien dit. Il a juste baissé les yeux, comme toujours depuis six mois. Depuis ce fameux dimanche où tout a basculé.
Je m’appelle Françoise. J’ai 62 ans, je vis à Nantes dans l’appartement où j’ai élevé Julien seule après le départ de son père. On a toujours été proches, lui et moi. Jusqu’à ce qu’il rencontre Camille. Au début, je l’aimais bien, cette fille vive et ambitieuse. Mais très vite, elle a pris toute la place. Elle a commencé à critiquer ma façon de vivre, mes meubles trop vieux, mes habitudes de retraitée. Julien riait nerveusement, sans jamais me défendre.
Ce soir-là, je rentrais tard du travail – je fais encore quelques ménages pour arrondir ma retraite. Je rêvais d’un bain chaud et d’un peu de silence. Mais en ouvrant la porte, j’ai trouvé Camille installée sur MON canapé, pieds nus sur la table basse, entourée de ses amies. Des verres vides partout, de la musique trop forte. Julien était dans la cuisine, l’air absent.
« Ah, voilà la proprio ! » a lancé Camille en riant. Les autres ont gloussé. J’ai senti la colère monter. Je n’étais plus chez moi. Je n’étais plus respectée.
« Camille, tu pourrais au moins demander avant d’inviter du monde ici », ai-je dit en essayant de rester calme.
Elle m’a regardée avec ce sourire méprisant : « On est en famille, non ? »
Julien s’est approché : « Maman, c’est juste pour ce soir… »
Mais ce n’était pas juste pour ce soir. Depuis six mois qu’ils avaient perdu leur appartement – à cause des dettes de jeu de Julien, que Camille me cachait – ils squattaient chez moi sans jamais rien proposer pour m’aider. Pas un loyer, pas une course. Juste des critiques et des regards fuyants.
Je me suis sentie trahie par mon propre fils. Lui qui me promettait toujours qu’il s’en sortirait, qu’il trouverait un boulot stable… Mais il passait ses journées devant la console ou à sortir avec Camille et ses amis. Et moi, je travaillais encore à mon âge pour payer l’électricité qu’ils gaspillaient.
Ce soir-là, j’ai craqué. J’ai posé mes sacs avec fracas.
« Ça suffit ! Vous partez ce soir. Je veux mes clés. »
Un silence glacial est tombé dans le salon. Camille a éclaté de rire : « Tu plaisantes ? »
Julien a blêmi : « Maman… tu ne peux pas… »
« Si, je peux ! J’en ai assez d’être traitée comme une étrangère chez moi ! »
J’ai senti les larmes monter mais je me suis forcée à rester droite. J’ai tendu la main : « Les clés. Maintenant. »
Julien a hésité puis a sorti son trousseau de sa poche. Il tremblait. Camille a jeté les siennes sur la table avec un geste théâtral.
« Tu vas regretter », a-t-elle murmuré en passant devant moi.
Ils sont partis sans un mot de plus. J’ai refermé la porte derrière eux et je me suis effondrée sur le sol. J’ai pleuré toute la nuit.
Depuis une semaine, le silence est revenu dans l’appartement. Mais il est lourd, pesant. Je n’ai pas de nouvelles de Julien. Ma sœur Monique me dit que j’ai bien fait, que je dois penser à moi maintenant. Mais chaque soir, je regarde le téléphone en espérant un message.
J’ai honte d’avoir mis mon propre fils dehors. Mais avais-je vraiment le choix ? Où s’arrête l’amour maternel ? Jusqu’où doit-on se sacrifier pour ses enfants ?
Parfois je me demande : est-ce que d’autres mères ont déjà vécu ça ? Est-ce qu’on peut vraiment tourner la page quand on a tout donné pour ses enfants ?