Ce parfum inconnu sur sa chemise : la double vie de mon mari

— Tu rentres encore tard, Paul ?

Ma voix tremble à peine, mais je sens la colère sourdre sous mes mots. Paul ne me regarde même pas. Il attrape ses clés sur la commode, enfile sa veste, et marmonne :

— J’ai une réunion, ne m’attends pas.

Je reste là, figée dans le couloir de notre appartement du 11e arrondissement, le cœur battant trop fort. Depuis des mois, tout a changé. Paul, mon mari depuis seize ans, n’est plus le même. Il s’absente sans prévenir, revient avec des excuses bancales et ce parfum étrange sur ses chemises — ni le mien, ni le sien. Un mélange de vanille sucrée et de tabac blond. Je ne dors plus la nuit. Je me repasse nos souvenirs : nos vacances à La Rochelle, la naissance de Camille, nos soirées à refaire le monde. Où est passé cet homme qui me murmurait des mots doux dans le noir ?

Un soir, alors qu’il prétendait dîner avec ses collègues, j’ai décidé de le suivre. J’ai attendu qu’il sorte du métro Bastille, puis je l’ai vu marcher d’un pas pressé vers la rue de Lappe. Il s’est arrêté devant un petit bar à la devanture défraîchie. J’ai attendu dehors, le cœur battant la chamade, imaginant déjà une silhouette féminine se glissant dans ses bras. Mais il est resté seul, assis au comptoir, à discuter longuement avec le barman.

Les jours suivants, j’ai continué à l’observer. Toujours ce même rituel : il quittait le travail plus tôt qu’il ne le disait, se rendait dans des endroits improbables — une salle de boxe à Belleville, un centre d’aide sociale dans le 19e. Un soir, je l’ai vu distribuer des repas chauds à des sans-abri sous le métro aérien. J’ai cru rêver.

Je n’ai rien dit. J’ai gardé ce secret pour moi, rongée par la jalousie et l’incompréhension. Pourquoi me mentait-il ? Pourquoi cette double vie ?

Un dimanche matin, alors que Camille dessinait dans sa chambre et que Paul lisait le journal au salon, j’ai craqué.

— Tu vas encore sortir cet après-midi ?

Il a levé les yeux vers moi, surpris par la dureté de mon ton.

— Oui… Il y a une collecte pour les Restos du Cœur.

— Tu pourrais au moins me dire la vérité ! Depuis quand tu fais tout ça ? Pourquoi tu me caches ta vie ?

Il a posé son journal, soupiré longuement.

— Je ne voulais pas t’inquiéter… Je me sens inutile au bureau, alors j’essaie d’aider ailleurs. J’avais honte de te dire que je ne supportais plus mon travail…

J’ai senti mes jambes flancher. Toute cette tension pour ça ? Je me suis assise en face de lui.

— Mais pourquoi tu ne m’as rien dit ? On aurait pu en parler…

Il a haussé les épaules.

— Je ne voulais pas que tu me voies comme un raté.

J’ai repensé à toutes ces nuits où je l’imaginais dans les bras d’une autre. À toutes ces disputes silencieuses. J’avais construit un mur entre nous sans même comprendre ce qu’il vivait.

Les semaines suivantes ont été étranges. Paul continuait ses activités bénévoles ; moi, j’essayais de recoller les morceaux de notre couple. Mais quelque chose s’était brisé : la confiance aveugle que j’avais en lui n’existait plus. Je surveillais ses moindres faits et gestes, incapable de retrouver la sérénité d’avant.

Un soir d’automne, alors que Camille dormait déjà et que la pluie battait contre les vitres, Paul s’est approché de moi dans la cuisine.

— Tu sais… Je t’aime toujours. Mais je crois qu’on s’est perdus en chemin.

J’ai senti les larmes monter.

— On peut encore se retrouver ?

Il a pris ma main dans la sienne.

— Je veux essayer. Mais il faut qu’on arrête de se mentir — toi comme moi.

Depuis ce soir-là, nous avons commencé une thérapie de couple. Parfois je me demande si l’amour suffit vraiment à réparer les blessures du silence et du doute. Mais au moins, nous essayons.

Est-ce que vous aussi vous avez déjà douté de ceux que vous aimez ? Jusqu’où iriez-vous pour connaître la vérité ?