Vacances envolées : quand le crédit et la famille brisent les rêves
— Tu sens ça, Camille ? C’est pas normal…
La voix de mon mari, Julien, résonne dans l’entrée. Je pose mes sacs de courses, le cœur déjà serré. L’odeur de tabac froid flotte dans l’air, s’infiltrant jusque dans les murs tout juste repeints. Notre appartement, notre cocon, celui pour lequel nous avons signé ce fichu crédit sur vingt-cinq ans, n’est plus le même. Je serre les poings. Je sais déjà ce que je vais trouver : mon frère, Luc, affalé sur le canapé, une clope à la main, les yeux rougis.
— Luc ! Tu te fous de moi ? On a tout refait ici !
Il hausse les épaules, l’air absent. Il écrase sa cigarette dans une vieille tasse à café.
— J’avais besoin de souffler, Camille… J’ai nulle part où aller.
Je sens la colère monter. Depuis que notre mère est tombée malade, Luc a tout laissé tomber : son boulot, son appart, ses responsabilités. Il squatte chez nous depuis trois semaines. Trois semaines à supporter ses humeurs, ses silences, ses promesses non tenues. Trois semaines à voir nos projets s’effriter.
Julien me lance un regard lourd de reproches. Lui aussi en a marre. Mais il ne dit rien. Comme d’habitude, c’est moi qui dois gérer.
Le soir même, je m’effondre sur le lit. Je pense à nos vacances en Bretagne, celles qu’on attendait depuis des mois. On avait tout réservé : la petite maison près de la mer, les balades sur la plage, les crêpes au caramel beurre salé… Mais avec Luc ici, impossible de partir. Qui s’occupera de lui ? Et puis il y a le crédit : la banque nous relance déjà pour un retard de paiement. Les travaux ont coûté plus cher que prévu. Julien a dû faire des heures sup’, moi aussi. On est épuisés.
— On ne peut pas continuer comme ça, souffle Julien dans l’obscurité.
Je retiens mes larmes. Je pense à ma mère à l’hôpital, à mon père qui ne parle plus à personne depuis des années. Je pense à Luc, perdu, et à moi, qui porte tout sur mes épaules.
Le lendemain matin, je trouve Luc dans la cuisine. Il fouille dans le frigo.
— T’as pas un peu d’argent ? J’ai plus rien.
Je craque.
— Tu crois que c’est facile pour nous ? Tu crois qu’on nage dans l’or ? On a un crédit sur le dos, Luc ! On devait partir en vacances…
Il baisse les yeux. Un silence pesant s’installe.
— Je suis désolé…
Mais il ne bouge pas. Il reste là, comme une ombre dans notre vie.
Les jours passent. Julien s’éloigne. Il rentre tard du travail, prétexte des réunions qui n’existent pas. On ne se parle presque plus. Le soir, je m’enferme dans la salle de bains pour pleurer en silence.
Un dimanche matin, alors que je prépare le café, Luc débarque avec un sac à dos.
— Je vais partir quelques jours… J’ai trouvé un pote qui peut m’héberger.
Je ne sais pas si je dois me réjouir ou m’inquiéter. Je sens un vide immense s’ouvrir en moi.
Julien me prend la main.
— On pourrait encore partir quelques jours…
Mais je n’ai plus envie. Je suis vidée. Les factures s’accumulent sur la table du salon. La banque menace de saisir l’appartement si on ne règle pas rapidement deux mensualités en retard.
Un soir d’orage, ma mère m’appelle depuis l’hôpital.
— Camille… Tu tiens le coup ?
Je mens :
— Oui maman, t’inquiète pas pour moi.
Mais elle sait. Elle entend ma voix trembler.
Après avoir raccroché, je m’effondre sur le sol carrelé de la cuisine. Je pense à tout ce que j’ai sacrifié : mes rêves de voyages, ma tranquillité, mon couple… Pour quoi ? Pour une famille qui ne sait que prendre sans jamais donner ? Pour un frère qui refuse de grandir ? Pour un mari qui ne sait plus m’aimer ?
Quelques semaines plus tard, Luc revient. Il a maigri, il sent l’alcool à plein nez. Il me supplie de le reprendre chez nous.
— Juste pour quelques nuits…
Julien explose :
— Ça suffit ! Ce n’est plus possible ! Camille, il faut choisir : c’est lui ou moi !
Je reste figée. Mon cœur bat trop fort. Comment choisir entre mon frère et mon mari ? Entre le sang et l’amour ?
Luc me regarde avec des yeux d’enfant perdu.
— S’il te plaît…
Julien claque la porte et disparaît dans la nuit.
Je reste seule avec Luc et mes regrets.
Aujourd’hui encore, je me demande : jusqu’où doit-on aller par loyauté familiale ? À quel moment faut-il penser à soi avant les autres ? Est-ce égoïste de vouloir être heureuse ?