Seul sur les rives du lac d’Annecy : Le prix d’une décision paternelle

— Tu pars vraiment, Paul ? Tu me laisses seule avec les enfants alors que tu sais que je reprends le travail lundi ?

La voix de Claire tremblait, oscillant entre la colère et la tristesse. Je n’ai pas répondu. J’ai juste attrapé ma valise, jeté un dernier regard à nos deux petits, endormis dans leur chambre, et j’ai claqué la porte. Sur le palier, mon cœur battait à tout rompre. Je me répétais que j’avais besoin de cette pause, que cette promotion au cabinet d’architectes m’avait épuisé, que je méritais bien quelques jours pour respirer. Mais au fond, je savais que je fuyais.

Le trajet jusqu’à Annecy fut un brouillard de regrets et d’excitation coupable. Le paysage défilait, les montagnes se dessinaient à l’horizon, mais je n’arrivais pas à me détacher de l’image de Claire, debout dans l’entrée, les bras croisés sur sa poitrine. Nous avions traversé tant d’épreuves ensemble : la naissance prématurée de Lucie, les nuits blanches avec Théo, les disputes pour des broutilles… Mais là, c’était différent. J’avais pris une décision égoïste.

Arrivé au bord du lac, le calme m’a d’abord enveloppé comme une couverture chaude. Les cygnes glissaient sur l’eau turquoise, les familles pique-niquaient sur l’herbe. J’ai loué un petit studio avec vue sur le lac. Le soir venu, j’ai ouvert une bouteille de vin blanc de Savoie et j’ai tenté d’oublier le silence qui m’entourait. Mais chaque gorgée avait un goût amer.

Le lendemain matin, j’ai reçu un message de Claire :

« Théo a fait une crise cette nuit. Il a réclamé son papa. J’espère que tu profites bien de ta liberté. »

Je suis resté longtemps à fixer l’écran. J’aurais voulu répondre, mais aucun mot ne semblait juste. J’ai éteint mon téléphone et je suis sorti marcher le long du lac. Les rires des enfants me transperçaient. Je me suis assis sur un banc et j’ai observé une famille : le père lançait un ballon à sa fille, la mère riait aux éclats. Une boule s’est formée dans ma gorge.

Le troisième jour, la culpabilité est devenue insupportable. J’ai appelé Claire. Elle a décroché au bout de longues sonneries.

— Qu’est-ce que tu veux ?

Sa voix était sèche.

— Je… Je voulais savoir comment ça va.

— Comment tu crois que ça va ? Lucie a pleuré toute la nuit parce qu’elle voulait son histoire du soir avec toi. Je suis épuisée, Paul. Tu crois que c’est facile ?

J’ai senti mes yeux s’embuer.

— Je suis désolé… Je pensais que…

— Que quoi ? Que tu pouvais tout laisser derrière toi parce que tu as eu une promotion ? Que tu pouvais t’offrir des vacances en solo pendant que moi je gère tout ?

Un silence pesant s’est installé.

— Je rentre demain, ai-je murmuré.

— Fais comme tu veux.

J’ai passé la nuit à tourner en rond dans le studio. Les murs semblaient se refermer sur moi. J’ai repensé à mon père qui, lui aussi, disparaissait parfois sans prévenir quand j’étais enfant. Je m’étais juré de ne jamais reproduire ce schéma.

Le lendemain matin, j’ai pris la route du retour sous une pluie battante. À chaque kilomètre, je sentais le poids de ma décision s’alourdir. Arrivé à Lyon, j’ai monté les escaliers quatre à quatre et j’ai frappé à la porte.

Claire m’a ouvert sans un mot. Les enfants se sont précipités vers moi en criant « Papa ! ». J’ai fondu en larmes en les serrant contre moi.

Plus tard dans la soirée, alors que les enfants dormaient enfin, Claire et moi nous sommes assis face à face dans la cuisine.

— Pourquoi tu es parti ?

J’ai cherché mes mots.

— J’avais l’impression d’étouffer… Entre le boulot, les enfants… J’avais besoin de me retrouver. Mais j’ai compris là-bas que ce n’est pas la liberté qui me manque. C’est vous.

Elle a baissé les yeux.

— Tu aurais pu me le dire… On aurait pu trouver une solution ensemble.

J’ai pris sa main.

— Je suis désolé. Je ne referai plus jamais cette erreur.

Un long silence s’est installé, mais il était différent cette fois : il portait l’espoir d’un nouveau départ.

Aujourd’hui encore, je repense souvent à ces jours passés seul au bord du lac d’Annecy. À ce que j’ai failli perdre pour quelques heures de solitude mal choisies. Est-ce qu’on réalise vraiment ce qu’on a avant de risquer de tout briser ? Est-ce qu’on peut réparer ce genre de blessure ? Qu’en pensez-vous ?