Mon rêve brisé : Quand mon mari a choisi sa mère plutôt que notre foyer

— Tu plaisantes, Julien ? Deux studios ? Pourquoi ?

Ma voix tremble, résonne dans la petite cuisine de notre appartement en location à Nantes. Je serre la lettre du notaire entre mes doigts, le papier froissé témoignant de ma colère. Julien évite mon regard, les yeux fixés sur la table. Il sait que je viens de découvrir la vérité, celle qu’il a soigneusement cachée pendant des semaines.

— C’est plus raisonnable, Claire. Deux studios, c’est un meilleur investissement. Et puis… Maman ne peut plus rester seule à Angers. Elle vieillit, tu sais bien.

Je sens mes jambes faiblir. Pendant cinq ans, chaque euro économisé était un pas vers notre rêve commun : un vrai chez-nous, un appartement lumineux où fonder une famille. Je me revois, le soir, à imaginer la couleur des rideaux, la place du canapé, les rires d’enfants dans le couloir. Tout ça s’effondre d’un coup.

— Tu ne m’as même pas consultée…

Ma voix se brise. Je me sens trahie, invisible. Depuis notre mariage, j’ai accepté de reporter mes envies, de faire des compromis pour économiser. J’ai supporté les repas interminables chez sa mère, les critiques voilées sur ma façon de cuisiner ou de tenir la maison. Mais là…

Julien se lève brusquement.

— Tu dramatises ! On aura notre studio, et Maman sera juste à côté. Ce sera plus simple pour tout le monde.

Je ris nerveusement.

— Plus simple pour qui ? Pour toi ? Pour ta mère ? Et moi dans tout ça ? Tu as pensé à moi une seule seconde ?

Il soupire, lasse.

— Tu sais bien qu’elle n’a personne d’autre…

Je me souviens de la première fois où j’ai rencontré Hélène, sa mère. Elle m’avait accueillie avec un sourire pincé et un regard qui disait tout : je n’étais pas assez bien pour son fils unique. Depuis, chaque occasion était bonne pour me rappeler ma place : celle d’une étrangère dans leur clan soudé.

Les semaines suivantes sont un enfer silencieux. Je dors mal, je fais semblant devant les collègues et les amis. Julien s’enferme dans le mutisme ou fuit chez sa mère dès qu’il le peut. Un soir, alors que je rentre plus tôt du travail, je les surprends tous les deux dans le salon du studio flambant neuf – celui qui aurait dû être notre nid d’amour.

— Tu comprends, maman, Claire ne veut pas comprendre…

Hélène pose une main sur l’épaule de son fils.

— Elle n’a jamais vraiment fait partie de la famille, tu sais bien…

Je retiens mes larmes et referme doucement la porte sans qu’ils ne me voient. Je me sens étrangère dans ma propre vie.

Les jours passent et la tension monte. Un dimanche matin, alors que je prépare du café, Hélène débarque sans prévenir.

— J’ai pensé qu’on pourrait réaménager un peu ton studio… Enfin, celui de Julien et toi. J’ai déjà choisi les rideaux et le tapis.

Je la regarde, sidérée.

— Vous n’avez pas besoin de mon avis ?

Elle hausse les épaules.

— C’est normal que je m’implique. Après tout, c’est aussi chez moi maintenant.

Je sens la colère monter. Je claque la tasse sur la table.

— Non, madame. Ce n’est pas chez vous. C’était censé être chez NOUS.

Julien entre à ce moment-là et me lance un regard noir.

— Arrête tes caprices, Claire !

Je quitte la pièce en claquant la porte. Dans la chambre minuscule, j’étouffe. Je pense à mes parents à Rennes, à leur maison pleine de souvenirs et d’amour simple. Je pense à ce rêve d’enfant : un foyer où je serais chez moi, respectée et aimée.

Les semaines suivantes sont rythmées par les disputes et les silences lourds. Je me surprends à regarder les annonces immobilières seule, à imaginer une vie sans Julien et sa mère omniprésente. Un soir, alors qu’il rentre tard encore une fois, je l’attends dans le salon.

— Julien… Est-ce que tu m’aimes encore ? Ou est-ce que tu n’aimes que ta mère ?

Il hésite, baisse les yeux.

— Je… Je ne sais pas quoi te dire.

Je comprends alors que je suis seule dans ce combat. Que mon rêve ne sera jamais le sien. Que parfois, aimer ne suffit pas si l’autre n’est pas prêt à couper le cordon.

Quelques jours plus tard, je fais mes valises. Je laisse une lettre sur la table :

« J’ai rêvé d’un foyer avec toi. Mais tu as choisi d’en construire un autre avec ta mère. Je te souhaite d’y trouver le bonheur que tu refuses de partager avec moi. »

En quittant l’immeuble sous la pluie battante de Nantes, je me demande : Combien sommes-nous en France à sacrifier nos rêves pour ceux des autres ? Jusqu’où doit-on aller par amour avant de s’oublier soi-même ?