Mon Mari, l’Avare : Rêver de Liberté dans une Cage Dorée

« Tu as vraiment besoin de ce café en terrasse ? » La voix de Guillaume, mon mari, tranche l’air du matin comme une lame froide. Je serre la tasse entre mes doigts, hésitante. Autour de nous, sur la place du marché de Dijon, les conversations s’envolent, légères. Mais moi, je me sens lourde, prisonnière d’un quotidien où chaque euro dépensé devient un crime.

Guillaume n’est pas un homme violent. Il ne crie jamais. Il ne boit pas. Il ne me trompe pas. Il est même beau, élégant, respecté dans son cabinet d’architecte. Mais il compte tout : les centimes, les minutes, les gestes d’affection. Il me regarde comme on surveille un compte bancaire. « Tu sais bien qu’on a des objectifs d’épargne », ajoute-t-il en souriant, ce sourire qui glace le sang.

Je m’appelle Élodie. J’ai 38 ans. Je suis professeure de lettres au lycée Carnot. J’aimais la vie simple, les petits plaisirs : une pâtisserie chez la boulangère, un bouquet de pivoines sur la table du salon, un cinéma le samedi soir. Mais depuis dix ans que je partage ma vie avec Guillaume, tout cela est devenu suspect, superflu, presque honteux.

Au début, je trouvais son sérieux rassurant. Il parlait d’avenir, de projets communs, d’acheter un appartement à Paris pour nos vieux jours. Je me sentais privilégiée, aimée par un homme responsable. Mais très vite, j’ai compris que ses rêves étaient des prisons dorées. Chaque dépense devait être justifiée, chaque envie négociée.

« Tu exagères », me dit ma mère au téléphone. « Tu as tout ce qu’il te faut ! Regarde ta cousine Claire avec son mari au chômage… » Mais maman ne voit pas les tickets de caisse que Guillaume exige chaque soir, ni le tableau Excel où il note nos achats. Elle ne sait pas que je cache parfois des pièces dans la doublure de mon manteau pour m’acheter un croissant en cachette.

Un soir d’automne, alors que la pluie tambourinait contre les vitres de notre appartement haussmannien, j’ai craqué. « Guillaume, j’aimerais qu’on parte en week-end à Lyon… Juste tous les deux. » Il a levé les yeux de son ordinateur, l’air agacé : « Tu sais combien coûte un hôtel ? Et puis, on a déjà Netflix… »

J’ai senti la colère monter en moi, une colère sourde et ancienne. « Ce n’est pas une question d’argent ! J’ai besoin de sortir, de vivre ! »

Il a soupiré : « Tu dramatises toujours tout. On a une belle vie, Élodie. Tu devrais être reconnaissante. »

Reconnaissante… Ce mot me hante. Dois-je remercier Guillaume pour chaque minute où il ne me reproche rien ? Pour chaque euro qu’il accepte de dépenser pour moi ?

Le pire, c’est devant les autres. Au dîner chez nos amis Sophie et Laurent, Guillaume se vante : « Nous, on ne gaspille rien ! Pas comme certains… » Les rires fusent. Je souris aussi, mais à l’intérieur je hurle.

Un jour, j’ai surpris une conversation entre Guillaume et notre fils Paul, 8 ans : « Tu n’as pas besoin de goûter à la boulangerie tous les jours. C’est du gaspillage. » Paul a baissé la tête. J’ai eu envie de pleurer.

La honte me ronge. Je n’ose pas parler à mes amies. Qui se plaint d’un mari trop économe ? En France, on admire ceux qui savent gérer leur argent. On se moque des femmes trop dépensières.

Mais l’avarice de Guillaume n’est pas seulement financière. Elle est émotionnelle. Il ne m’offre jamais de fleurs. Jamais un mot doux sans raison précise. L’amour aussi est rationné.

Un soir, j’ai osé aborder le sujet du divorce. « Tu veux divorcer parce que je fais attention à l’argent ? Tu es folle ! » Il a ri nerveusement. « Tu ne survivrais pas sans moi. »

Ses mots m’ont glacée d’effroi et de honte mêlés. Et s’il avait raison ? Je n’ai jamais géré seule un budget important. Je n’ai pas d’économies à moi – tout est sur ses comptes à lui.

Je me suis réfugiée chez ma sœur Camille pour un week-end. Elle m’a prise dans ses bras : « Tu n’es pas folle, Élodie. Tu as le droit d’exister pour toi-même. »

Mais comment faire ? Les lois françaises protègent-elles vraiment les femmes comme moi ? Les avocats coûtent cher…

Parfois je rêve : je me vois seule dans un petit appartement lumineux à Lyon ou Bordeaux, libre d’acheter une baguette ou un roman sans rendre de comptes à personne.

Mais chaque matin je me réveille dans cette cage dorée où l’amour se mesure en centimes et où le bonheur s’économise jusqu’à disparaître.

Est-ce cela la vie rêvée des femmes modernes ? Faut-il choisir entre sécurité matérielle et liberté d’être soi-même ?

Et vous… jusqu’où supporteriez-vous l’avarice au nom du couple ?