Mon fils adoré veut s’installer chez moi : le dilemme d’une mère française

« Maman, je t’en supplie, laisse-nous venir vivre à la maison de campagne. »

La voix de Julien tremblait au téléphone, et j’ai senti mon cœur se serrer. Il était presque minuit, la pluie battait contre les volets de mon appartement à Nantes, et j’avais déjà du mal à trouver le sommeil. Depuis des semaines, je sentais que quelque chose n’allait pas. Mais jamais je n’aurais imaginé que mon fils cadet, mon Julien, celui qui avait toujours été si indépendant – ou du moins, c’est ce que je croyais – me demanderait cela.

« Julien, tu sais bien que ce n’est pas possible. La maison de Saint-Philbert n’est pas faite pour accueillir un jeune couple. Elle est vieille, humide… Et puis, tu viens à peine de commencer ton nouveau travail à Nantes ! »

Un silence pesant s’est installé. J’entendais presque sa respiration saccadée à travers le combiné. Puis il a murmuré : « On n’a pas le choix, maman. Avec Camille enceinte et la hausse des loyers… On ne s’en sort plus. »

J’ai fermé les yeux. Camille, sa compagne depuis trois ans, était une jeune femme douce et discrète. Je l’aimais bien, mais je n’avais jamais pensé qu’ils se retrouveraient dans une telle précarité. Pourtant, je ne pouvais pas céder. La maison de campagne était mon refuge, mon seul endroit à moi depuis que leur père nous avait quittés pour refaire sa vie à Bordeaux avec une femme plus jeune.

Je me suis rappelée les disputes avec mon aîné, Pierre, qui m’avait reproché de toujours tout céder à Julien. « Tu l’as trop couvé, maman ! Il doit apprendre à se débrouiller ! »

Mais comment refuser à son propre enfant ?

« Écoute, Julien… Je peux t’aider financièrement. Je peux vous avancer trois mois de loyer pour un petit appartement. Mais venir vivre à la campagne… Ce n’est pas la solution. »

Il a explosé : « Tu préfères payer plutôt que de nous ouvrir ta porte ? Tu te rends compte de ce que tu dis ? »

J’ai senti les larmes monter. « Ce n’est pas ça… »

Mais il avait déjà raccroché.

Cette nuit-là, j’ai tourné en rond dans mon lit. Les souvenirs défilaient : les premiers pas de Julien dans le jardin de Saint-Philbert, ses rires d’enfant, ses colères d’adolescent. Avais-je raté quelque chose ? Avais-je été trop présente ou pas assez ?

Le lendemain matin, Pierre m’a appelée.

« Alors ? Il t’a demandé ? »

Sa voix était dure. J’ai soupiré : « Oui. J’ai refusé… Je lui ai proposé de l’aider autrement. »

Pierre a poussé un soupir de soulagement : « Tu as bien fait. Il doit apprendre à affronter la réalité. Ce n’est plus un gamin ! »

Mais au fond de moi, je doutais. La réalité… Quelle réalité ? Celle d’une jeunesse française qui galère à trouver un logement décent ? Celle des CDD qui s’enchaînent sans jamais offrir la stabilité ?

Les jours ont passé. Julien ne répondait plus à mes messages. Camille m’a écrit un texto poli : « Merci pour votre proposition, Françoise. Nous allons réfléchir. »

Je me suis sentie rejetée par mon propre fils.

Un dimanche matin, alors que je préparais un gâteau au yaourt – celui que Julien adorait enfant – j’ai entendu frapper à la porte.

C’était lui.

Il avait l’air épuisé, les traits tirés, les yeux rougis.

« Maman… Je suis désolé pour l’autre soir. »

Je l’ai pris dans mes bras sans un mot.

Nous nous sommes assis dans la cuisine en silence. Puis il a parlé :

« Je ne voulais pas te mettre dans cette situation. Mais j’ai peur… Peur de ne pas être à la hauteur pour Camille et le bébé. Peur de tout rater… »

J’ai pris sa main : « Tu n’es pas seul, Julien. Mais tu dois comprendre que cette maison… c’est tout ce qu’il me reste de moi-même. Je veux t’aider, mais pas en sacrifiant ce qui me permet encore d’exister en dehors d’être ta mère. »

Il a hoché la tête.

« Je comprends mieux maintenant… Peut-être qu’on peut chercher une solution ensemble ? »

Nous avons passé la journée à regarder des annonces d’appartements modestes autour de Nantes. Je lui ai promis de l’aider pour la caution et les premiers mois.

Quand il est parti ce soir-là, j’ai senti un poids s’alléger sur ma poitrine.

Mais la question restait : ai-je eu raison de refuser ? Est-ce égoïste de vouloir préserver un espace rien qu’à soi quand ses enfants sont en détresse ? Ou bien est-ce justement leur rendre service que de ne pas tout leur céder ?

Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?