Maman nous a demandé de l’aider à payer ses factures de chauffage, mais la vérité derrière sa demande a bouleversé notre famille
— Tu sais, Élodie, je n’ose plus allumer le chauffage le soir. L’électricité coûte si cher…
La voix de ma mère tremblait au téléphone, ce soir d’août où la chaleur écrasait encore la campagne autour de son pavillon à Saint-Aubin-sur-Loire. J’ai jeté un regard à Paul, mon mari, qui hochait la tête en silence. Depuis la mort de papa il y a trois ans, maman semblait s’effacer un peu plus chaque hiver. J’ai promis de l’aider, sans hésiter. Après tout, c’est normal, non ?
Le lendemain, j’ai appelé Camille, ma sœur cadette. Elle vit à Dijon, à une heure de route de chez moi. Je m’attendais à ce qu’elle soit au courant.
— Elle t’a appelée aussi ?
— Oui… Hier soir. Elle m’a dit qu’elle n’arrivait plus à joindre les deux bouts. Tu crois qu’elle va bien ?
On a convenu d’envoyer chacune 100 euros par mois à maman jusqu’au printemps. Paul m’a rassurée : « Ta mère a toujours été fière, si elle demande, c’est qu’elle en a vraiment besoin. »
Mais quelque chose me dérangeait. Maman n’avait jamais parlé de difficultés financières avant. Elle avait hérité d’un petit capital après la vente de la maison de mes grands-parents. Où était passé cet argent ?
En octobre, je suis allée lui rendre visite avec Paul et nos deux enfants. La maison était impeccable, comme toujours, mais il y régnait un froid étrange — pas seulement à cause du chauffage éteint. Maman semblait nerveuse, jetant des coups d’œil furtifs à son téléphone.
Après le déjeuner, alors que Paul promenait les enfants au parc, j’ai fouillé dans la cuisine à la recherche d’une boîte de biscuits. En ouvrant un tiroir, je suis tombée sur une pile d’enveloppes : des factures impayées, oui… mais aussi des reçus de virements bancaires vers un certain « Lucien Morel ».
Je n’avais jamais entendu ce nom.
Le soir même, j’ai confronté maman :
— Maman, qui est Lucien Morel ? Pourquoi tu lui envoies de l’argent ?
Elle a pâli, s’est effondrée sur une chaise.
— Je… Je ne voulais pas vous inquiéter. Lucien… c’est un ami. Il m’aide beaucoup depuis que ton père est parti.
— Mais pourquoi tu lui donnes autant d’argent ?
Elle a détourné les yeux :
— Il a des problèmes… Il m’a promis de me rembourser.
J’ai senti la colère monter. Comment pouvait-elle être aussi naïve ? Ou bien… était-ce plus compliqué ?
De retour chez moi, j’ai tout raconté à Camille. Elle était furieuse :
— On se tue à l’aider et elle donne notre argent à un inconnu ? Il faut qu’on intervienne !
On a décidé d’aller ensemble chez maman le week-end suivant. Cette fois, on voulait des réponses.
Quand on est arrivées, Lucien était là. Un homme d’une soixantaine d’années, l’air fatigué mais élégant. Il nous a saluées poliment, puis s’est éclipsé dans le jardin.
— Maman, tu dois arrêter ça ! Tu ne peux pas sacrifier ta sécurité pour cet homme !
Elle s’est mise à pleurer :
— Vous ne comprenez pas… Depuis que votre père est mort, je me sens vide. Lucien… il m’écoute. Il me fait rire. Je sais que ce n’est pas raisonnable mais… je me sens vivante avec lui.
Camille a explosé :
— Et nous alors ? On n’existe plus ? Tu préfères un inconnu à tes propres filles ?
Le silence est tombé comme une chape de plomb.
J’ai pris la main de maman :
— On veut juste que tu sois heureuse… mais pas au prix de ton bien-être.
Lucien est revenu dans la pièce. Il nous a regardées toutes les trois.
— Je ne veux pas être la cause de vos disputes. Je vais partir.
Maman s’est levée brusquement :
— Non ! Reste !
Camille et moi nous sommes regardées, désemparées.
Après le départ de Lucien, maman nous a avoué qu’elle avait peur de vieillir seule. Que l’argent n’était qu’un prétexte pour garder Lucien près d’elle. Qu’elle avait honte de nous avoir menti mais qu’elle ne supportait plus la solitude.
Je suis rentrée chez moi le cœur lourd. J’ai repensé à toutes ces fois où j’avais jugé maman sans comprendre sa détresse.
Aujourd’hui encore, je me demande : jusqu’où irions-nous pour ne pas être seuls ? Est-ce égoïste de vouloir aimer et être aimé, même si cela blesse ceux qu’on aime déjà ?