« Maman, je m’occuperai de toi » : l’histoire d’une promesse trahie
— Maman, tu me fais confiance, n’est-ce pas ?
La voix de Julien tremblait à peine, mais j’ai senti un frisson me parcourir l’échine. Nous étions assis dans la cuisine, la table couverte de papiers, de stylos et de tasses à moitié vides. Le soleil d’octobre filtrait à travers les rideaux jaunis, dessinant des ombres sur le carrelage. J’ai hoché la tête, le cœur serré, sans vraiment comprendre ce que je m’apprêtais à signer.
— Bien sûr, mon chéri. Tu sais que tu es tout pour moi.
Il a souri, ce sourire doux qui me rappelait le petit garçon qu’il était autrefois, celui qui courait dans le jardin en criant : « Regarde, maman ! » Mais ce jour-là, il avait les yeux fuyants. J’aurais dû me méfier.
J’ai pris le stylo. J’ai signé. Et en quelques traits d’encre, j’ai cédé la maison familiale à mon fils. Il m’avait promis : « Tu resteras ici aussi longtemps que tu voudras. Je m’occuperai de toi, maman. »
Les semaines ont passé. Julien venait moins souvent. Il répondait à peine à mes appels. Un matin, une lettre recommandée est arrivée : « Mise en demeure d’évacuer les lieux sous trente jours. » Je n’ai pas compris tout de suite. J’ai relu la lettre dix fois, les mots dansaient devant mes yeux.
J’ai appelé Julien. Sa voix était froide :
— Maman, c’est compliqué… J’ai des dettes… Je n’ai pas eu le choix.
— Mais tu m’avais promis !
Un silence. Puis il a raccroché.
Je me suis retrouvée seule dans la maison où j’avais élevé mon fils, seule avec mes souvenirs et mes regrets. Les voisins me regardaient avec pitié. Madame Lefèvre m’a apporté une tarte aux pommes, mais je n’avais pas faim.
La nuit, je tournais en rond dans le salon, caressant les cadres photos : Julien bébé dans mes bras, Julien à son premier jour d’école, Julien adolescent qui me disait : « T’inquiète pas maman, je serai toujours là pour toi. »
J’ai pensé à mon mari, disparu trop tôt. À toutes ces années où j’avais tout donné pour que Julien ne manque de rien. Je me suis souvenue des sacrifices : les heures supplémentaires à l’hôpital, les vacances annulées, les vêtements usés jusqu’à la corde.
Un matin, deux hommes sont venus frapper à la porte.
— Madame Martin ? Nous venons pour l’état des lieux.
J’ai rassemblé quelques affaires dans une valise élimée. Je suis sortie sans me retourner. La maison semblait plus petite, plus froide.
J’ai erré quelques jours chez des amis, puis à l’hôtel social du quartier Saint-Paul. La honte me collait à la peau comme une seconde peau. Je croisais des regards fuyants ou compatissants.
Un soir, j’ai croisé Julien dans la rue. Il a baissé les yeux.
— Maman… Je suis désolé…
— Tu m’as trahie, Julien. Tu étais tout ce qu’il me restait.
Il n’a rien répondu. Il est parti sans se retourner.
À l’hôtel social, j’ai rencontré d’autres femmes comme moi : Lucienne, chassée par ses enfants ; Mireille, dont la fille ne lui parle plus depuis des années. Nous avons partagé nos histoires autour d’un café tiède et de madeleines rassies.
Je me suis demandé où j’avais échoué. Avais-je trop donné ? Pas assez ? Avais-je mal aimé ?
Les assistantes sociales m’ont aidée à trouver un petit studio HLM en banlieue. C’est modeste, mais c’est chez moi. J’y ai accroché quelques photos de Julien enfant — malgré tout.
Parfois, je croise des familles heureuses dans la rue et je sens une boule dans ma gorge. Je repense à cette promesse : « Maman, je m’occuperai de toi… »
Aujourd’hui encore, je me demande : comment peut-on survivre à la trahison de son propre enfant ? Est-ce que d’autres mères ont connu cette douleur ? Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?