Maison divisée : Quand mon gendre est devenu mon pire ennemi

— Tu ne comprends donc pas, papa ? Il a des papiers, il a des factures… Il dit qu’il a tout payé avec moi !

La voix d’Anaïs tremble dans la cuisine, ses mains serrées autour d’une tasse de café froid. Je la regarde, ma fille unique, celle pour qui j’ai tout sacrifié. Et voilà qu’aujourd’hui, cette maison, notre maison, devient le champ de bataille d’un divorce qui n’en finit plus de nous déchirer.

Je me souviens du jour où j’ai posé la première pierre, ici, à la sortie du village de Saint-Aubin. J’avais imaginé les rires d’enfants, les repas du dimanche, la paix. Jamais je n’aurais pensé que Julien, ce garçon que j’avais accueilli comme un fils, deviendrait mon adversaire.

— Gérard, il faut être raisonnable, intervient ma femme, Monique, d’une voix lasse. La loi est la loi…

La loi ! Depuis quand la loi comprend-elle l’amour d’un père ? Depuis quand la justice pèse-t-elle les heures passées à poncer les volets ou à réparer la toiture sous la pluie ?

Julien n’a pas tardé à envoyer une lettre recommandée. « Je réclame ma part », disait-il. Sa part ? Mais quelle part ? Celle des souvenirs ? Celle des sacrifices ?

Le village bruisse de rumeurs. À l’épicerie, on me regarde avec pitié ou méfiance. Certains disent que j’aurais dû faire un contrat, d’autres murmurent que c’est bien fait pour moi. Mais personne ne sait ce que c’est que de voir son foyer se fissurer.

Un soir, alors que je rentre du jardin, j’entends Anaïs pleurer dans sa chambre d’enfant. Je frappe doucement.

— Anaïs…

— Je suis désolée, papa. Tout ça, c’est de ma faute…

Je m’assois près d’elle. Je voudrais lui dire que non, que rien n’est de sa faute. Mais au fond, je sens la colère monter contre Julien, contre ce système qui protège ceux qui savent manipuler les lois.

Les semaines passent et l’avocat nous explique : « Monsieur Gérard, sans preuve écrite que la maison vous appartient en totalité, Julien peut réclamer une partie des biens communs. »

Je serre les poings. J’ai tout fait pour eux. J’ai même accepté que Julien mette son nom sur certaines factures pour qu’ils aient droit à des aides. Aujourd’hui, ce sont ces papiers qui se retournent contre moi.

Monique ne parle plus beaucoup. Elle passe ses journées à tourner en rond dans la maison, à ranger des objets qui n’ont plus de place. Parfois, elle s’arrête devant la photo du mariage d’Anaïs et Julien et soupire :

— On aurait dû voir venir…

Mais comment voir venir la trahison ? Comment imaginer qu’un jour, le gendre devienne l’ennemi ?

Un matin, Julien débarque avec son avocat. Il veut faire l’inventaire des biens. Je sens mon cœur battre à tout rompre.

— Gérard, je ne fais que défendre mes droits, dit-il froidement.

— Tes droits ? Et mes années de travail ? Mes nuits blanches ? Tu t’en souviens ?

Il détourne les yeux. Anaïs reste figée dans l’entrée, pâle comme un linge.

L’inventaire commence. Chaque meuble est noté, chaque objet pesé comme s’il s’agissait de simples marchandises. Je me retiens de hurler.

Le soir venu, Anaïs éclate :

— Je ne veux plus jamais le revoir ! Je préfère partir…

Partir ? Quitter cette maison pour laquelle j’ai tout donné ? Laisser Julien gagner ?

Je passe des nuits blanches à relire les vieux papiers, à chercher une faille dans ce cauchemar administratif. Mais rien n’y fait. La justice avance lentement mais sûrement vers une division.

Les voisins prennent parti. Certains soutiennent Anaïs et moi ; d’autres trouvent que Julien a raison : « Après tout, il a vécu ici aussi… »

Un dimanche matin, Monique craque :

— On ne peut plus vivre comme ça ! Cette maison nous tue à petit feu…

Je regarde autour de moi : les murs semblent plus étroits, l’air plus lourd. La maison n’est plus un refuge mais une prison.

Le verdict tombe enfin : Julien obtient le droit à une compensation financière. Nous devons vendre ou lui verser une somme astronomique.

Anaïs s’effondre dans mes bras :

— On va faire comment, papa ?

Je n’ai pas de réponse. J’ai l’impression d’avoir perdu bien plus qu’une maison : j’ai perdu confiance en la famille, en la justice.

Aujourd’hui encore, je me demande : comment en est-on arrivé là ? Comment protéger ce qu’on aime quand tout peut basculer du jour au lendemain ? Est-ce vraiment ça, la France d’aujourd’hui ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?