Le silence de Camille : une mère face à l’absence

« Camille, s’il te plaît, réponds-moi… » Ma voix tremble alors que je laisse un nouveau message sur sa boîte vocale. Je sais qu’elle ne rappellera pas. Cela fait un an aujourd’hui. Un an que ma fille a claqué la porte de notre appartement à Nantes, emportant avec elle ses valises et mon cœur. Depuis, le silence s’est installé comme une brume épaisse dans ma vie.

Je me souviens de ce matin-là, comme si c’était hier. Camille avait les yeux rouges, la mâchoire serrée. « Tu ne comprends rien, maman ! » avait-elle crié, sa voix brisée par la colère. J’avais tenté de la retenir, de lui parler, mais elle m’avait repoussée. « Laisse-moi tranquille ! »

Depuis, je revis cette scène en boucle. Qu’ai-je fait de si grave ? Où ai-je failli ? Je relis nos anciens messages, nos photos de vacances à La Baule, nos fous rires dans la cuisine en préparant des crêpes. Elle disait toujours que j’étais sa meilleure amie. Comment tout cela a-t-il pu s’effondrer ?

Au début, j’ai cru qu’elle reviendrait vite. J’ai appelé tous les jours, puis tous les deux jours. J’ai envoyé des textos, des mails, même des lettres manuscrites. Rien. Parfois, je vois qu’elle publie des photos sur Instagram : elle sourit avec ses amis, elle visite Paris, elle semble heureuse. Mais pour moi, c’est le néant.

Mon mari, Philippe, essaie de me rassurer. « Laisse-lui du temps, elle reviendra. » Mais il ne comprend pas. Il n’a jamais été aussi proche d’elle que moi. Il continue sa vie comme si de rien n’était, alors que moi, je m’effondre un peu plus chaque jour.

Les repas du soir sont devenus silencieux. La chambre de Camille est restée intacte : son lit défait, ses livres d’adolescente sur l’étagère, son parfum qui flotte encore dans l’air. Parfois, je m’assois sur son lit et je pleure en silence.

Ma sœur Sophie me dit d’arrêter de me torturer. « Les jeunes aujourd’hui sont comme ça, ils veulent leur indépendance. » Mais ce n’est pas une simple crise d’adolescence. Camille a 23 ans. Elle était déjà adulte quand elle est partie.

Je repense à nos disputes des derniers mois avant son départ. Elle voulait partir vivre en colocation à Lyon pour son master de psychologie. J’avais peur pour elle : la grande ville, l’argent, les mauvaises rencontres… Je lui ai dit que ce n’était pas raisonnable, qu’elle devrait rester ici pour économiser. Peut-être ai-je été trop dure ? Trop protectrice ?

Un soir d’hiver, alors que la pluie battait contre les vitres, j’ai surpris une conversation entre Camille et son amie Julie :

— Ma mère ne me fait jamais confiance…
— Tu devrais lui parler franchement.
— À quoi bon ? Elle ne m’écoute jamais.

Ces mots me hantent encore aujourd’hui. Ai-je vraiment été sourde à ses besoins ? Trop envahissante ? Je voulais juste la protéger…

Depuis son départ, je me suis repliée sur moi-même. J’évite les réunions de famille : tout le monde me demande des nouvelles de Camille et je n’ai rien à répondre. Au travail, mes collègues évitent le sujet ou me regardent avec pitié.

Un jour, j’ai croisé Julie dans la rue.
— Tu as des nouvelles de Camille ?
Elle a baissé les yeux.
— Elle va bien… Elle a besoin de temps.
— Mais pourquoi ce silence ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
Julie a haussé les épaules.
— Parfois on a besoin de couper pour se retrouver…

Je suis rentrée chez moi en larmes. Comment se retrouver en effaçant sa mère ?

J’ai essayé d’aller voir un psychologue. Il m’a dit que je devais accepter la situation et penser à moi. Mais comment penser à soi quand on a l’impression d’avoir perdu une partie de soi-même ?

Parfois, la nuit, je rêve que Camille rentre à la maison. Elle m’embrasse et me dit : « Maman, je t’aime ». Je me réveille alors avec le cœur serré et le goût amer du manque.

Aujourd’hui encore, je regarde mon téléphone toutes les heures en espérant voir son nom s’afficher. Je me demande si elle pense à moi, si elle m’en veut encore ou si elle a simplement tourné la page.

Je sais que je dois avancer, mais comment faire quand on ne sait même pas ce qu’on a fait de mal ? Est-ce que d’autres mères vivent ce silence ? Est-ce qu’on peut vraiment réparer ce qui est brisé sans comprendre pourquoi ça s’est cassé ?