Le Dernier Don d’une Sœur : L’Héritage d’Anaïs à Camille

« Tu ne comprends pas, Camille ! Je n’ai jamais voulu te faire de mal ! » Ma voix tremblait dans la cuisine glaciale, alors que la pluie martelait les carreaux de notre petit appartement à Nantes. Camille me fixait, les yeux rougis par les larmes, ses mains serrées sur la lettre qu’elle venait de trouver dans le tiroir du buffet. Cette lettre, c’était mon secret, mon fardeau, mon ultime sacrifice.

Tout a commencé il y a cinq ans, quand mon mari, Étienne, est mort brutalement d’un accident de voiture. J’avais 34 ans, et je me suis retrouvée seule avec un appartement trop grand et un vide immense. Camille, ma demi-sœur de dix ans ma cadette, venait alors de quitter son compagnon, Paul, après avoir découvert qu’il menait une double vie depuis des années. Elle est venue s’installer chez moi, brisée, sans ressources, sans repères.

Nous n’avions jamais eu une relation simple. Notre mère, Solange, avait eu Camille avec un autre homme après le divorce avec mon père. Mais malgré nos différences, je l’aimais comme ma propre fille. J’ai tout fait pour la protéger de la cruauté du monde. Je me souviens encore de nos soirées à refaire le monde autour d’un thé brûlant, de ses crises d’angoisse que j’apaisais en lui caressant les cheveux.

Mais la vie ne nous a pas épargnées. Après la mort d’Étienne, j’ai dû vendre notre maison familiale pour rembourser ses dettes. Je travaillais comme infirmière de nuit à l’hôpital Saint-Jacques, enchaînant les gardes pour payer le loyer. Camille cherchait du travail dans la communication mais peinait à décrocher un CDI. Les factures s’accumulaient. Un soir d’hiver, alors que je rentrais épuisée d’une garde de 12 heures, j’ai trouvé Camille en pleurs sur le canapé : « Anaïs, je n’en peux plus… Je suis désolée de t’imposer tout ça… »

C’est là que j’ai pris ma décision. J’ai contacté Maître Lefèvre, le notaire de la famille. J’ai transféré l’intégralité de ce qui me restait – un petit héritage de notre grand-mère maternelle – au nom de Camille. Je voulais qu’elle ait une chance de se reconstruire, de ne pas sombrer comme moi. Mais j’ai gardé le secret. Je voulais qu’elle se sente forte par elle-même.

Les mois ont passé. Camille a finalement trouvé un poste dans une agence de communication à Nantes. Elle a rencontré Thomas, un jeune avocat plein d’avenir. Leur bonheur me réchauffait le cœur mais creusait aussi en moi un sentiment d’abandon. Je me sentais inutile, transparente.

Un soir d’automne, alors que je rangeais la cuisine après un dîner silencieux, j’ai surpris une conversation entre Camille et Thomas :

— Tu sais que tu pourrais investir dans cet appartement ?
— Je n’ai pas assez d’argent…
— Mais avec l’héritage de ta sœur…

J’ai senti une boule se former dans ma gorge. J’étais devenue un simple tremplin dans sa vie.

Puis il y a eu cette lettre. La lettre du notaire que j’avais cachée au fond du tiroir. Camille l’a trouvée par hasard en cherchant un carnet. Elle a tout compris : « Tu as tout donné pour moi… Pourquoi tu ne m’as rien dit ? »

Je n’ai pas su quoi répondre. Les mots se sont emmêlés dans ma bouche. J’avais voulu la protéger mais je l’avais privée de la vérité. Elle s’est sentie trahie : « Tu m’as menti ! Tu m’as fait croire que je pouvais y arriver seule… »

Les jours suivants ont été un enfer. Camille a quitté l’appartement pour aller chez Thomas. Le silence s’est abattu sur moi comme une chape de plomb. Ma mère m’a appelée : « Tu as toujours voulu jouer les mères parfaites… Mais tu as oublié que Camille avait besoin d’une sœur, pas d’une sauveuse ! »

J’ai sombré dans la solitude et le doute. Avais-je fait le bon choix ? Pourquoi le sacrifice n’apporte-t-il jamais la paix ?

Aujourd’hui encore, je regarde cette photo de nous deux sur la plage de Pornichet, insouciantes et complices. Je me demande si un jour elle me pardonnera.

Est-ce qu’on peut aimer trop fort ? Est-ce que le sacrifice est toujours une preuve d’amour… ou parfois une forme d’égoïsme déguisé ?