J’ai tout donné pour mon fils, et maintenant sa femme veut tout vendre
« Tu ne comprends pas, maman, c’est notre vie maintenant ! »
La voix de Julien résonne encore dans la cuisine, là où tout a commencé. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes. Le carrelage froid sous mes pieds me rappelle les hivers passés à économiser chaque centime pour offrir à mon fils ce toit. J’ai tout fait pour lui : les heures supplémentaires à la mairie, les ménages chez Madame Lefèvre, les marchés du dimanche matin. Tout ça pour quoi ? Pour que Camille, sa femme depuis deux ans, décide aujourd’hui de vendre la maison ?
Je me souviens du jour où j’ai signé l’acte d’achat. Julien n’avait que cinq ans. Il courait dans le jardin, les joues rouges, riant aux éclats. Je m’étais promis qu’il ne manquerait jamais de rien. J’ai refait la toiture moi-même avec l’aide de mon frère Luc. J’ai poncé les volets, repeint chaque pièce, choisi chaque meuble avec soin. Même le vieux buffet de ma mère trône encore dans la salle à manger.
Mais depuis que Camille est entrée dans nos vies, tout a changé. Elle est gentille, oui, mais elle a des rêves différents. Elle veut partir à Bordeaux, ouvrir un salon de thé. « Ici, c’est trop petit, trop vieux », dit-elle en caressant distraitement la table en chêne massif. Je la regarde et je sens une colère sourde monter en moi.
Hier soir, la dispute a éclaté. Julien s’est levé de table brusquement :
— Maman, il faut que tu comprennes… On ne peut pas rester ici toute notre vie !
— Mais cette maison… c’est tout ce que j’ai !
— Non, maman. C’est tout ce que TU as voulu pour moi. Moi, je veux autre chose maintenant.
Ses mots m’ont transpercée comme une lame. J’ai passé des nuits blanches à imaginer son bonheur ici. J’ai refusé des vacances, des sorties avec mes amies pour mettre de côté chaque euro. Et aujourd’hui, on me demande de tourner la page comme si rien n’avait compté.
Camille s’approche de moi dans le salon. Elle parle doucement :
— Je sais que c’est difficile pour vous… Mais on a besoin d’avancer. On veut fonder une famille ailleurs.
Je la regarde dans les yeux. Elle ne voit pas les rides qui se sont creusées sur mon visage à force d’inquiétude et de travail. Elle ne sait pas ce que c’est que de se priver pour un enfant.
Je me tourne vers Julien :
— Tu te souviens quand tu étais petit ? Tu disais que tu voulais vivre ici toute ta vie…
Il baisse les yeux :
— Les choses changent, maman.
Les jours passent et la tension ne fait qu’augmenter. Mon frère Luc me conseille de laisser faire :
— Tu ne peux pas retenir Julien toute sa vie… Il faut qu’il vole de ses propres ailes.
Mais comment accepter ? Comment effacer vingt-cinq ans de sacrifices ?
Un soir, je surprends Camille au téléphone avec une agence immobilière. Elle parle déjà du prix qu’ils pourraient en tirer. Mon cœur se serre. Je me sens trahie, dépossédée.
Je repense à ma propre mère qui m’a transmis cette maison en héritage. Elle disait toujours : « Une maison, c’est plus que des murs ; c’est l’âme d’une famille. » Ai-je eu tort d’y croire ?
Le jour où ils viennent m’annoncer qu’ils ont trouvé un acheteur potentiel, je sens mes jambes flancher. Julien me prend la main :
— Maman… On t’aime, mais il faut qu’on vive notre vie.
Je retiens mes larmes devant eux. Je veux être forte, mais au fond je suis brisée.
La nuit suivante, je fais le tour de la maison en silence. Je caresse les murs, je respire l’odeur du bois ciré, j’écoute le parquet grincer sous mes pas comme autrefois quand Julien courait partout.
Le matin venu, je me regarde dans le miroir : ai-je été une bonne mère ou ai-je étouffé mon fils sous le poids de mes rêves ?
Et vous… Jusqu’où iriez-vous par amour pour vos enfants ? Peut-on vraiment tourner la page sur toute une vie bâtie pour eux ?