J’ai refusé d’épouser la fille que j’ai brisée – Mon père a décidé à ma place

« Tu n’as pas honte ?! » La voix de mon père résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je me souviens de la lumière blafarde, du silence pesant qui a suivi ma confession. Camille est enceinte. C’est sorti d’un souffle, comme si j’avais craché un secret trop lourd pour ma poitrine. Ma mère, assise en face de moi, a posé sa main sur la mienne. Elle a murmuré : « Damien, tu fais ce que tu crois juste. » Mais mon père, lui, s’est levé d’un bond, le visage rouge de colère.

« Dans cette famille, on assume ! Tu vas épouser Camille, un point c’est tout ! »

J’ai secoué la tête. J’aimais Camille, mais pas comme il fallait pour bâtir une vie entière. Nous avions vingt-deux ans, étudiants à Lille, et tout était allé trop vite. Une soirée, un moment d’égarement, et voilà : une vie en route. Camille voulait garder l’enfant. Moi, je ne voulais pas d’un mariage imposé par la honte ou la peur du qu’en-dira-t-on.

Mon père ne comprenait pas. Pour lui, l’honneur de la famille passait avant tout. Il répétait : « Chez les Morel, on ne laisse pas une fille dans la détresse ! » Il parlait de traditions, de respectabilité, de ce que diraient les voisins à Arras. Ma mère tentait d’apaiser les choses : « Laisse-le réfléchir, Paul… » Mais il n’écoutait pas.

Le lendemain, il est allé voir les parents de Camille sans me prévenir. Il leur a promis que « tout serait arrangé ». Quand Camille m’a appelé en larmes : « Ton père veut qu’on se marie en juin… Tu savais ? », j’ai senti le sol s’ouvrir sous mes pieds.

J’ai couru chez elle. Sa mère m’a ouvert la porte avec un regard dur. Camille était dans sa chambre, recroquevillée sur son lit. « Je ne veux pas t’obliger… Mais je ne veux pas affronter ça seule non plus », a-t-elle sangloté.

Je me suis assis à côté d’elle. « Je suis là pour toi et pour le bébé. Mais je ne peux pas te promettre un amour que je ne ressens plus… »

Elle a hoché la tête, résignée. « Alors je serai une mère célibataire… »

Les semaines suivantes ont été un enfer. Mon père ne me parlait plus qu’à travers des ordres secs : « Va chercher du pain », « Range ta chambre ». Ma mère pleurait en silence le soir dans la cuisine. Les voisins chuchotaient sur notre passage au marché.

Camille a décidé de garder l’enfant. J’ai proposé de l’aider financièrement et d’être présent pour l’enfant, mais sans mariage. Mon père a crié à la trahison : « Tu n’es plus mon fils ! »

J’ai quitté la maison familiale pour un petit studio à Lille. J’ai trouvé un job étudiant dans une librairie pour payer mon loyer et envoyer un peu d’argent à Camille chaque mois. Ma mère m’appelait en cachette pour prendre des nouvelles.

Le jour où Camille a accouché d’une petite fille, Lucie, j’étais là. J’ai pleuré en tenant ce minuscule être dans mes bras. Camille m’a souri faiblement : « Merci d’être venu… »

Mais le vide restait immense entre nous. Nous étions liés par Lucie, mais séparés par tout le reste.

Un soir d’hiver, alors que je rentrais du travail sous la pluie battante, mon père m’attendait devant ma porte. Il avait vieilli de dix ans en quelques mois.

« Je t’ai mal jugé », a-t-il murmuré sans me regarder dans les yeux. « Je voulais te protéger… Mais j’ai tout cassé. »

Je n’ai rien répondu. Il a sorti une petite peluche de sa poche : « Pour Lucie… »

Nous avons marché longtemps dans les rues humides de Lille sans parler. Puis il a dit : « Reviens dîner à la maison dimanche… Ta mère t’attend. »

Ce soir-là, autour du pot-au-feu maternel, j’ai compris que les liens familiaux ne se brisent jamais vraiment. Ma mère m’a serré fort contre elle ; mon père a posé sa main sur mon épaule.

Camille a refait sa vie quelques années plus tard avec un homme doux qui a accepté Lucie comme sa propre fille. Je suis resté présent pour ma fille autant que possible, entre deux villes et deux mondes.

Aujourd’hui encore, je me demande : ai-je fait le bon choix ? Aurais-je dû écouter mon père ou suivre mon cœur ? Peut-on vraiment réparer ce qu’on brise par peur ou par orgueil ?

Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?