J’ai cessé d’aider mon fils financièrement, et il a disparu : un an sans voir ma petite-fille
« Tu sais très bien que sans ton aide, on ne s’en sortira pas, maman ! » La voix de Thomas résonne encore dans ma tête, sèche, presque étrangère. Je me revois, debout dans ma petite cuisine de la Croix-Rousse, les mains tremblantes sur la table en formica. J’avais osé lui dire non. Non, je ne pouvais plus payer ses factures, ni l’aider pour le loyer. Ma pension de retraite ne suffit déjà pas pour mes propres besoins. J’ai 68 ans, et j’ai travaillé toute ma vie – caissière à Monoprix, femme de ménage chez les voisins, baby-sitter le soir pour arrondir les fins de mois. Tout ça pour lui offrir une vie meilleure.
Mais ce jour-là, Thomas n’a pas voulu comprendre. Il a raccroché brutalement. Depuis, plus rien. Pas un appel, pas un message. Et surtout, plus de Camille. Ma petite-fille adorée, ses boucles blondes et son rire qui illuminait mes samedis après-midi. Cela fait plus d’un an que je n’ai pas vu son visage.
Je me repasse sans cesse la scène de notre dernière rencontre. C’était un dimanche pluvieux de novembre. Camille avait dessiné un soleil pour moi : « Pour que tu sois toujours heureuse, mamie ! » J’avais senti les larmes monter. Thomas était venu la chercher plus tôt que d’habitude. Il avait l’air pressé, nerveux. « On doit filer, maman », avait-il lancé en évitant mon regard. Je n’ai pas su alors que ce serait la dernière fois.
Les jours ont passé, puis les semaines. J’ai tenté d’appeler Thomas – il ne répondait jamais. J’ai envoyé des messages : « Comment va Camille ? Elle me manque… » Silence radio. J’ai même écrit une lettre, à l’ancienne, avec mon écriture tremblante :
« Mon cher Thomas,
Je comprends que tu sois en colère contre moi. Mais Camille n’y est pour rien… Je t’en supplie, laisse-moi la voir. »
Aucune réponse.
Au marché du samedi matin, les voisines me demandent : « Et ta petite-fille ? Elle doit avoir bien grandi ! » Je souris faiblement et change de sujet. Je me sens honteuse, comme si j’avais commis une faute impardonnable. Pourtant, tout ce que j’ai fait, c’était de survivre.
Je repense à mon propre père, sévère mais juste. Il disait toujours : « On n’élève pas ses enfants pour qu’ils nous doivent quelque chose, mais pour qu’ils sachent se débrouiller seuls. » Ai-je trop donné à Thomas ? Ai-je mal fait en voulant le protéger de tout ?
Un soir d’hiver, alors que la pluie battait contre les vitres de mon petit appartement, j’ai craqué. J’ai appelé ma sœur Mireille à Toulouse.
— Tu ne peux pas continuer comme ça, Françoise ! Il abuse de ta gentillesse depuis des années.
— Mais c’est mon fils…
— Justement ! Un fils ne devrait pas traiter sa mère comme un distributeur automatique.
Ses mots m’ont blessée mais aussi réveillée. J’ai réalisé que je n’étais pas seule à souffrir de cette situation : combien de parents en France se retrouvent ainsi mis à l’écart dès qu’ils ne peuvent plus aider financièrement ?
J’ai essayé d’occuper mes journées autrement : bénévolat à la bibliothèque du quartier, tricot pour les Restos du Cœur… Mais rien ne comble le vide laissé par Camille. Parfois, je rêve d’elle : elle court vers moi dans le parc de la Tête d’Or, ses bras grands ouverts.
Un matin de printemps, j’ai croisé par hasard la compagne de Thomas à la boulangerie.
— Bonjour Élodie… Comment va Camille ?
Elle a baissé les yeux.
— Elle va bien… Elle parle souvent de vous.
— Pourquoi ne puis-je plus la voir ?
Élodie a soupiré.
— Thomas est têtu… Il dit que vous l’avez abandonné au pire moment.
J’ai senti la colère monter.
— Abandonné ? Après tout ce que j’ai fait ?
Elle a haussé les épaules et s’est éclipsée.
Ce mot me hante : « abandonné ». Qui a vraiment abandonné qui ?
Les mois passent et la solitude devient une compagne silencieuse. Je regarde les photos de Camille sur mon téléphone – les dernières datent d’il y a plus d’un an. Je me demande si elle se souvient encore de moi.
Parfois, je croise des grands-parents au parc avec leurs petits-enfants et je ressens une jalousie amère. Est-ce cela vieillir en France aujourd’hui ? Être utile tant qu’on peut donner, puis disparaître quand on n’a plus rien à offrir ?
Je repense à toutes ces années où j’ai sacrifié mes envies pour Thomas : pas de vacances, pas de sorties, juste le travail et la maison. Pour lui acheter son premier vélo, son ordinateur pour la fac… Et aujourd’hui ? Il ne reste que le silence.
Un soir d’été, alors que le soleil se couche sur les toits rouges de Lyon, je me parle à moi-même :
« Est-ce que j’ai trop donné ? Est-ce qu’on peut aimer son enfant au point de s’oublier soi-même ? »
Et vous… Pensez-vous qu’un parent doive tout sacrifier pour ses enfants ? Ou bien faut-il apprendre à dire non avant qu’il ne soit trop tard ?