Entre Fidélité et Amour : Le Choix d’une Fille

« Tu ne comprends donc rien, Camille ? Ce garçon n’est pas fait pour toi ! »

La voix de ma mère résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la poignée de la porte, les jointures blanchies par la tension. Je voudrais lui crier que je l’aime, que Thomas n’est pas ce qu’elle croit, mais les mots restent coincés dans ma gorge. Depuis le départ de papa, il y a deux ans, tout est devenu plus lourd, plus fragile. Maman s’est refermée sur elle-même, et moi, j’ai grandi trop vite.

Je me souviens du soir où tout a commencé. C’était à la fête du lycée à Angers. Thomas m’a invitée à danser sous les guirlandes lumineuses du gymnase. Il avait ce sourire timide, un peu gauche, qui m’a tout de suite touchée. On a parlé de littérature, de cinéma français, de nos rêves d’ailleurs. J’ai ri comme je n’avais pas ri depuis longtemps. Mais Thomas n’est pas du même monde que nous : fils d’un ouvrier licencié de l’usine locale, il vit dans un quartier que maman évite soigneusement.

Quand elle l’a appris, elle a explosé. « Tu vas finir comme moi, à ramasser les morceaux d’un amour qui ne mène nulle part ! » Elle a jeté mon téléphone sur la table, les yeux pleins de larmes et de colère. J’ai voulu la prendre dans mes bras, lui dire que je ne suis pas elle, que mon histoire sera différente. Mais elle s’est détournée.

Depuis ce soir-là, la maison est devenue un champ de mines. Chaque repas est une épreuve. Maman me surveille, fouille mes messages, me pose des questions insidieuses : « Tu l’as vu aujourd’hui ? Il t’a encore parlé de ses grands projets ? » Je réponds à peine, lasse de devoir me justifier. Mon frère Paul fait semblant de ne rien voir, plongé dans ses jeux vidéo pour fuir la tempête.

Un soir, alors que je rentrais tard après avoir vu Thomas en cachette près des bords de Maine, maman m’attendait dans le salon, assise dans le noir. « Tu me mens, Camille. Comme ton père avant toi. » Sa voix tremblait. J’ai senti la colère monter en moi : « Ce n’est pas pareil ! Papa est parti parce qu’il n’en pouvait plus… Moi je veux juste être heureuse ! »

Elle s’est levée brusquement et m’a giflée. Le bruit sec a résonné dans toute la maison. J’ai reculé, choquée plus par sa détresse que par la douleur physique. Elle s’est effondrée sur le canapé en sanglotant : « Je ne veux pas te perdre toi aussi… »

Cette nuit-là, j’ai pleuré en silence dans ma chambre. J’ai pensé à partir, à tout quitter pour vivre mon histoire avec Thomas sans entraves. Mais l’image de maman seule dans la cuisine m’a retenue. Je me suis souvenue des dimanches matin où elle préparait des crêpes en chantant Edith Piaf, des soirs d’hiver où elle me bordait sous la couette.

Les semaines ont passé. Thomas sentait mon malaise : « Tu ne peux pas continuer comme ça, Camille… Je ne veux pas être celui qui t’arrache à ta famille. » Il avait raison. Mais comment choisir ?

Un samedi matin, alors que je traînais au marché avec maman – une tradition que nous avions gardée malgré tout – elle s’est arrêtée devant un étal de fleurs. « Tu sais… j’ai eu peur toute ma vie d’être abandonnée », a-t-elle murmuré sans me regarder. J’ai senti sa main trembler dans la mienne. « Je ne veux pas te perdre non plus », ai-je répondu.

Ce jour-là, j’ai décidé d’inviter Thomas à dîner à la maison. Maman a accepté à contrecœur. Le soir venu, l’atmosphère était électrique. Thomas a parlé doucement, a raconté son enfance difficile mais heureuse malgré tout. Maman l’a écouté sans un mot, le visage fermé.

Après son départ, elle s’est assise face à moi : « Il t’aime vraiment… Je le vois bien. Mais j’ai peur pour toi, Camille. Peur que tu souffres comme moi j’ai souffert. »

J’ai pris sa main : « Peut-être que je souffrirai… Mais c’est mon histoire à moi. Laisse-moi la vivre. »

Les mois suivants n’ont pas été faciles. Il y a eu des disputes, des silences lourds, mais aussi des moments de complicité retrouvée. Petit à petit, maman a accepté Thomas dans ma vie – sans jamais vraiment l’approuver complètement.

Aujourd’hui encore, il m’arrive de douter : ai-je fait le bon choix ? Aurais-je dû sacrifier mon amour pour préserver ma mère ? Ou bien fallait-il briser nos liens pour vivre pleinement ?

Et vous… jusqu’où iriez-vous par fidélité envers votre famille ? Peut-on vraiment choisir entre ceux qu’on aime ?