Entre Deux Filles, Un Cœur Partagé : Mon Combat de Mère à Lyon

— Tu préfères Savannah, hein ? Tu l’as toujours préférée !

La voix d’Élise résonne dans la cuisine exiguë de notre appartement à la Croix-Rousse. Je serre la poignée du vieux frigo, tentant de retenir mes larmes. Il est 19h, la lumière dorée du soir glisse sur les carreaux, mais l’ambiance est glaciale. Je viens de rentrer du supermarché où je fais la caisse pour 900 euros par mois. Sur cette somme, 500 euros partent chaque mois pour Savannah, ma cadette, qui fait ses études à Montpellier. À Élise, mon aînée restée à Lyon, je donne 50 euros. Le reste, c’est pour le loyer, les factures, et un peu de nourriture.

— Ce n’est pas vrai, Élise… Tu sais bien que je fais ce que je peux, je souffle, la voix tremblante.

Elle me regarde, les yeux pleins de reproches, et je sens tout le poids de mes choix. Depuis que Jérôme est parti vivre sa vie d’artiste bohème à Marseille, je suis seule à tout porter. Il m’a dit un jour, en refermant la porte : « J’ai besoin de penser à moi, Claire. Les filles sont grandes, tu t’en sortiras. » Je n’ai pas pleuré devant lui. Mais ce soir-là, j’ai hurlé dans l’oreiller.

Élise a vingt-deux ans. Elle travaille dans une librairie, mais son contrat est précaire. Savannah, dix-neuf ans, a toujours été plus fragile, plus rêveuse. Elle a eu des soucis de santé, des crises d’angoisse, et j’ai toujours eu peur qu’elle s’effondre loin de moi. Alors, j’envoie plus d’argent à Savannah. Je me dis que c’est temporaire, qu’Élise est plus forte. Mais ce soir, je comprends que je me trompe peut-être.

— Tu sais quoi ? Je vais partir chez papa. Lui au moins, il ne me fait pas sentir invisible.

Elle claque la porte. Je reste seule, le cœur en miettes. Je m’effondre sur la chaise, la tête dans les mains. Est-ce que je suis une mauvaise mère ?

Le lendemain, je reçois un message de Savannah :

« Maman, je sais que tu fais beaucoup pour moi. Mais tu devrais penser à toi aussi. Et à Élise. Je t’aime. »

Je relis ce message dix fois. Je me rends compte que je n’ai jamais parlé franchement avec mes filles de l’argent, de mes peurs, de mes choix. J’ai voulu protéger Savannah, mais j’ai blessé Élise. Je décide de les réunir le dimanche suivant, autour d’un gratin dauphinois, notre plat préféré.

— Je veux qu’on parle, dis-je en posant le plat sur la table. Je n’ai pas toujours fait les bons choix. J’ai eu peur pour Savannah, alors j’ai donné plus. Mais je t’ai laissée de côté, Élise. Je suis désolée.

Élise baisse les yeux. Savannah lui prend la main.

— Moi aussi, j’ai eu l’impression d’être un poids. Je ne veux pas que tu souffres à cause de moi, Élise.

Un silence. Puis Élise éclate en sanglots. Je la serre dans mes bras, Savannah nous rejoint. On pleure toutes les trois, enlacées, comme si on recollait les morceaux d’un vase brisé.

Après ce repas, quelque chose change. Élise accepte de m’aider à gérer le budget. Savannah propose de chercher un petit boulot à côté de ses études. Je découvre que je ne suis pas seule. On commence à parler, à se dire les choses. Je réalise que l’amour d’une mère ne se mesure pas en euros, mais en présence, en écoute, en pardon.

Un soir, alors que je range la chambre d’Élise, je tombe sur un carnet. Elle y a écrit : « Maman fait ce qu’elle peut. Peut-être qu’un jour, je comprendrai. »

Je pleure en silence. Je me promets de ne plus jamais laisser le silence s’installer entre nous.

Aujourd’hui, on n’a toujours pas beaucoup d’argent, mais on a retrouvé quelque chose de précieux : la confiance. Jérôme m’a appelée récemment. Il voulait savoir si tout allait bien. J’ai répondu : « Oui, grâce à mes filles. »

Parfois, je me demande : combien de familles se déchirent à cause de secrets, de non-dits, de peur de mal faire ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?