Entre Deux Feux : Mon Mari, Sa Mère et Moi
« Tu as pensé à rappeler Maman ? » La voix de Guillaume résonne dans la cuisine, tranchante comme une lame. Je serre la tasse de café entre mes mains, tentant de contenir la colère qui monte. Il est 7h30 du matin, et déjà, Ariane a appelé deux fois. Une fois pour souhaiter une bonne journée à son fils, une autre pour lui rappeler de ne pas oublier son parapluie.
Je m’appelle Camille. J’ai 32 ans, et je croyais naïvement que le mariage signifiait construire un foyer à deux. Mais depuis que j’ai épousé Guillaume, j’ai l’impression d’être la troisième roue du carrosse. Ariane, sa mère, est partout : dans nos conversations, nos projets, nos disputes. Elle habite à vingt minutes de chez nous, à Écully, mais sa présence plane sur notre appartement lyonnais comme un parfum entêtant.
Ce matin-là, alors que je tente de me convaincre que tout cela n’est qu’une mauvaise passe, Guillaume pose sa main sur mon épaule. « Tu sais bien qu’elle est seule depuis le divorce… Elle n’a que moi. »
Je ravale mes mots. Encore. Mais au fond de moi, une tempête gronde. Ariane n’a jamais refait sa vie après avoir quitté le père de Guillaume. Elle s’est consacrée corps et âme à son fils unique, le couvrant d’une affection étouffante. À chaque fête, chaque anniversaire, chaque dimanche midi, elle s’invite dans notre quotidien avec ses plats trop salés et ses anecdotes sur « le petit Guillaume ».
Un soir d’automne, alors que la pluie tambourine contre les vitres, je craque. Guillaume rentre tard du travail ; il a passé la soirée chez sa mère pour « l’aider à monter une étagère ». Je l’attends dans le salon, les bras croisés.
— Tu trouves ça normal ?
Il me regarde, surpris.
— Quoi donc ?
— Que ta mère t’appelle dix fois par jour ? Qu’elle débarque sans prévenir ? Qu’elle décide de nos vacances à notre place ?
Il soupire, s’assoit en face de moi.
— Camille… C’est ma mère. Je lui dois tout. Elle s’est sacrifiée pour moi. Tu ne peux pas comprendre.
Je sens les larmes monter. Je voudrais hurler que moi aussi j’ai besoin de lui. Que moi aussi j’ai fait des sacrifices. Mais il détourne déjà le regard, son téléphone vibre : « Maman » s’affiche à l’écran.
Les semaines passent et rien ne change. Pire : Ariane s’immisce dans nos disputes. Un soir, alors que nous nous disputons à propos d’un projet de voyage en Bretagne (Ariane veut venir), elle débarque chez nous sans prévenir.
— Je ne veux pas être un poids pour vous ! s’exclame-t-elle en entrant, les yeux brillants de larmes.
Guillaume se précipite vers elle, la prend dans ses bras.
— Mais non Maman… Tu sais bien que tu comptes plus que tout.
Je me sens invisible. J’ai envie de fuir. Mais je reste là, figée, spectatrice de leur duo fusionnel.
Un jour, ma propre mère m’appelle.
— Camille, tu n’as pas l’air bien…
Je craque enfin.
— Maman, je crois que je n’existe plus dans mon propre couple.
Elle soupire au bout du fil.
— Tu dois poser des limites. Sinon tu vas te perdre.
Mais comment poser des limites quand on a l’impression de voler l’amour d’un fils à sa mère ? Quand chaque tentative de discussion se heurte à un mur d’incompréhension ?
Un samedi matin, alors qu’Ariane propose encore une sortie « en famille » (comprendre : elle, Guillaume et moi), j’explose.
— Je ne viendrai pas !
Guillaume me regarde comme si je venais de gifler sa mère.
— Pourquoi tu fais ça ?
— Parce que j’en ai assez ! Assez d’être la figurante dans ma propre vie !
Ariane fond en larmes.
— Je savais bien que tu ne m’aimais pas…
Guillaume se tourne vers moi, furieux.
— Tu pourrais faire un effort ! Elle a tout donné pour moi !
Je claque la porte et pars marcher sous la pluie. Les passants me regardent d’un air curieux alors que les larmes se mêlent aux gouttes sur mon visage. Je pense à toutes ces femmes qui vivent dans l’ombre d’une belle-mère trop présente. À toutes celles qui n’osent pas parler par peur de briser leur couple.
Le soir même, Guillaume rentre tard. Il ne dit rien. Je sens que quelque chose s’est brisé entre nous.
Les jours suivants sont silencieux. Chacun vit dans sa bulle. Ariane appelle toujours autant ; Guillaume répond toujours aussi vite.
Un soir, je prends mon courage à deux mains.
— Guillaume… Il faut qu’on parle.
Il me regarde enfin dans les yeux.
— Je t’aime… Mais je ne peux pas continuer comme ça. J’ai besoin d’exister à tes côtés, pas derrière ta mère.
Il baisse la tête.
— Je ne sais pas faire autrement…
Je comprends alors que le problème n’est pas Ariane. C’est Guillaume qui refuse de couper le cordon. Et moi qui refuse de m’effacer davantage.
Aujourd’hui, je suis face à un choix : continuer à vivre dans l’ombre ou partir pour me retrouver moi-même. Je n’ai pas encore pris ma décision. Mais une chose est sûre : je mérite d’être aimée pour ce que je suis, pas pour le rôle qu’on veut me faire jouer.
Est-ce égoïste de vouloir être la priorité de son mari ? Ou est-ce simplement humain ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?