Emprunter à mon beau-père : le prix d’une solution facile
« Tu es sûr que tu veux vraiment lui demander ? » La voix de Camille tremblait dans la cuisine, alors que je fixais mon téléphone posé sur la table. Je savais ce que cela signifiait : demander de l’argent à son père, c’était franchir une ligne invisible. Mais les factures s’accumulaient, la voiture venait de tomber en panne, et mon salaire d’instituteur ne suffisait plus. J’ai soupiré, la gorge serrée. « On n’a pas le choix, Camille. »
Le lendemain, j’étais assis dans le salon cossu de mes beaux-parents à Lyon. Jean-Pierre, mon beau-père, me regardait par-dessus ses lunettes, un sourire poli mais distant aux lèvres. « Alors, Paul, tu as besoin d’un coup de pouce ? » Sa voix était douce, mais je sentais déjà le poids du jugement. J’ai expliqué la situation, maladroitement, en évitant le regard de ma belle-mère qui feuilletait son magazine sans lever les yeux.
Jean-Pierre a accepté sans hésiter. « Bien sûr, tu es de la famille maintenant. » Il a sorti son carnet de chèques, griffonné la somme dont j’avais besoin, et m’a tendu le chèque comme on tend une bouée à un naufragé. Mais dans son regard, j’ai cru voir autre chose : une lueur de supériorité, ou peut-être de méfiance.
Au début, tout semblait réglé. Camille était soulagée, les tensions à la maison se sont apaisées. Mais très vite, j’ai senti le changement. Lors des repas du dimanche, Jean-Pierre glissait des remarques : « Tu sais, Paul, il faut apprendre à gérer son budget… » ou « À ton âge, j’avais déjà acheté ma première maison. » Je riais jaune, tentant de masquer ma honte.
Un soir, alors que nous rentrions en voiture après un dîner chez eux, Camille a explosé : « Tu ne dis rien ! Tu le laisses te rabaisser devant tout le monde ! » Je n’ai pas su quoi répondre. Je me sentais piégé entre ma fierté blessée et la peur d’aggraver les choses.
Les mois ont passé. J’ai commencé à éviter les invitations chez mes beaux-parents. Camille y allait seule avec les enfants. À chaque fois qu’elle revenait, elle était tendue. « Papa dit que tu pourrais faire des heures sup’, que tu manques d’ambition… »
Un soir d’hiver, alors que je corrigeais des copies dans le salon, Jean-Pierre m’a appelé. Sa voix était froide : « Paul, il faudrait penser à me rembourser bientôt. Ce n’est pas pour l’argent, tu comprends… c’est une question de principe. » J’ai senti la colère monter. « Je fais ce que je peux ! » ai-je répondu sèchement avant de raccrocher.
La situation est devenue insupportable. Camille et moi nous disputions sans cesse. Elle me reprochait mon orgueil, je lui reprochais de ne pas me défendre. Les enfants ressentaient la tension ; même notre fils aîné a demandé un jour : « Papa, pourquoi papi ne t’aime plus ? »
J’ai fini par craquer lors d’un repas familial. Jean-Pierre a lancé une énième pique sur « ceux qui vivent au-dessus de leurs moyens ». J’ai posé ma serviette avec fracas : « Ça suffit ! Tu veux ton argent ? Tu l’auras ! Mais arrête de me traiter comme un incapable devant tout le monde ! » Un silence glacial s’est abattu sur la table. Ma belle-mère a éclaté en sanglots, Camille m’a lancé un regard furieux.
Après cet épisode, les relations se sont distendues. Camille passait plus de temps chez ses parents qu’à la maison. Je me suis retrouvé seul avec mes regrets et ma rancœur. J’ai travaillé d’arrache-pied pour rembourser Jean-Pierre le plus vite possible. Le jour où je lui ai rendu la dernière enveloppe d’argent, il m’a serré la main sans un mot.
Mais rien n’était réglé pour autant. La confiance était brisée. Camille et moi avons tenté de recoller les morceaux, mais quelque chose s’était fissuré en nous. Les repas familiaux étaient devenus rares et tendus ; même les enfants n’osaient plus parler librement chez leurs grands-parents.
Aujourd’hui encore, des années après, je repense à ce choix qui a tout changé. Était-ce vraiment une solution ? Ou juste le début de la fin ?
Ai-je eu tort de demander de l’aide ? Peut-on vraiment retrouver la confiance après avoir mêlé l’argent à la famille ? Qu’en pensez-vous ?