Emprunter à mon beau-père : la dette qui a brisé ma famille

— Tu n’as pas honte, Paul ? Encore à demander de l’argent ?

La voix de mon beau-père, Jean, résonne dans la cuisine, froide comme la pluie qui martèle les vitres ce soir-là. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes. Ma femme, Claire, baisse les yeux, mal à l’aise. Je sens la colère et la honte monter en moi, mais je ravale mes mots. J’ai besoin de cet argent. Pour nous, pour notre fille Lucie, pour payer ce fichu loyer en retard.

Tout a commencé il y a six mois. J’avais perdu mon emploi dans une petite agence immobilière à Nantes. Les licenciements pleuvaient partout, et moi, je n’étais qu’un nom de plus sur une liste. Claire travaillait à mi-temps dans une bibliothèque municipale, mais son salaire ne suffisait pas. Les économies fondaient comme neige au soleil. J’ai cherché partout : Pôle Emploi, petites annonces, même des missions d’intérim. Rien. Les factures s’accumulaient sur la table du salon.

Un soir, alors que Lucie dormait déjà, j’ai craqué. J’ai dit à Claire :
— Je crois qu’il faut demander de l’aide à ton père.
Elle a hésité longtemps. Jean n’a jamais caché qu’il me trouvait « pas assez ambitieux ». Mais elle a accepté d’en parler avec lui.

Le lendemain, nous étions assis dans leur salon cossu de la banlieue nantaise. Jean m’a écouté sans un mot, puis a soupiré :
— Je peux te prêter 3 000 euros. Mais tu me rembourses dès que tu retrouves du travail. Pas question que tu profites de ma fille.
J’ai hoché la tête, humilié mais soulagé.

Au début, je pensais que tout allait rentrer dans l’ordre. Mais rien n’a changé côté boulot. Et Jean… Jean a changé du tout au tout avec moi. Chaque repas de famille devenait un supplice.

— Alors Paul, tu as trouvé un vrai travail ou tu comptes rester à la maison ?
— Tu sais, dans mon temps, on ne tendait pas la main comme ça…

Je sentais le regard de Claire sur moi, triste et impuissant. Ma belle-mère, Hélène, tentait parfois de détendre l’atmosphère :
— Jean, laisse-le respirer un peu…
Mais rien n’y faisait.

Les semaines passaient et la tension montait. Un dimanche midi, alors que Lucie jouait dans le jardin avec ses cousins, Jean a lancé devant tout le monde :
— Il faudrait peut-être penser à rembourser avant de reprendre du dessert !
J’ai senti mon visage brûler. J’ai quitté la table sans un mot.

À la maison, Claire m’a pris dans ses bras :
— Je suis désolée… Il n’aurait pas dû dire ça.
Mais le mal était fait. Je n’étais plus le gendre, ni même un homme à ses yeux : j’étais devenu un débiteur.

Peu à peu, Claire et moi avons commencé à nous disputer. Elle défendait son père, disait qu’il était « maladroit », qu’il « voulait juste nous pousser à avancer ». Mais moi, je ne supportais plus ses remarques ni cette sensation d’être surveillé en permanence.

Un soir d’orage, alors que je rentrais d’un entretien raté, j’ai trouvé Jean devant notre porte. Il m’attendait avec une enveloppe.
— Voilà le reste de ce que tu me dois. Je préfère régler ça tout de suite. Après ça, on n’aura plus rien à se dire.
Il m’a tendu l’enveloppe avec un sourire glacé.

J’ai pris l’argent sans répondre. Cette nuit-là, j’ai pleuré comme un enfant dans la salle de bain pour que Claire ne m’entende pas.

Les mois ont passé. J’ai fini par retrouver un poste dans une agence immobilière plus petite. J’ai remboursé Jean jusqu’au dernier centime. Mais rien n’a jamais été comme avant. Aux repas de famille, il m’ignore ou me lance des piques à peine voilées. Lucie me demande pourquoi papi ne veut plus jouer avec elle comme avant.

Aujourd’hui encore, je repense à ce choix qui a tout bouleversé. Était-ce vraiment une erreur d’avoir demandé de l’aide ? Ou bien est-ce l’orgueil et la rancune qui détruisent les familles ?

Est-ce que l’argent justifie qu’on humilie ceux qu’on aime ? Vous feriez quoi à ma place ?