Deux Semaines de Trop : Quand l’Invité Devient le Maître
« Lève-toi et fais-moi un café ! »
La voix de Paul résonne dans la cuisine, tranchante, comme une gifle au petit matin. Je serre la mâchoire. Il est à peine huit heures, la lumière grise de Paris filtre à travers les rideaux. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Paul, le frère de mon mari, est là depuis deux semaines. Deux semaines alors qu’il devait rester un week-end. Deux semaines à supporter ses exigences, ses blagues lourdes, son rire tonitruant qui fait trembler les murs de notre petit appartement du 12ème.
Je me lève, enfile mon peignoir. Dans le salon, Paul est affalé sur le canapé, pieds nus sur la table basse, télécommande à la main. Mon mari, Julien, n’est pas encore rentré de son service de nuit à l’hôpital. Je me sens seule face à ce frère envahissant qui a su manipuler Julien avec ses histoires de solitude et de nostalgie fraternelle.
« Tu pourrais sourire un peu, non ? » lance Paul sans même me regarder. Je serre les poings. J’ai envie de hurler. Mais je me tais. Pour Julien. Pour ne pas faire d’histoires. Je prépare le café en silence, chaque geste me coûte.
Le soir où Paul est arrivé, tout semblait si simple. Il avait appelé Julien en pleurant presque : « J’ai besoin de toi, frérot… Je me sens si seul depuis que Claire m’a quitté… » Julien n’a pas hésité une seconde. « Viens passer le week-end à la maison ! »
Mais le week-end s’est transformé en semaine, puis en deux semaines. Paul a pris possession des lieux. Il laisse traîner ses affaires partout, critique ma cuisine (« Tu ne sais pas faire les crêpes comme maman »), monopolise la télévision et se plaint sans cesse du bruit des voisins.
Un soir, à table, il a lancé : « Franchement Juju, t’as bien changé depuis que t’es avec elle… Avant on rigolait plus ! » Julien a ri jaune. Moi, j’ai senti une boule se former dans ma gorge.
J’ai essayé d’en parler à Julien :
— Tu ne trouves pas que Paul abuse un peu ?
Il a soupiré :
— Il traverse une mauvaise passe… Sois patiente.
Patiente ? Je n’en peux plus. Je ne dors plus. Je travaille toute la journée dans une agence immobilière où les clients sont aussi exigeants que Paul. Le soir, je rentre pour retrouver ce même climat d’exigence et d’irrespect.
Un matin, alors que je sors les poubelles, je croise Madame Lefèvre, notre voisine du dessus.
— Vous avez l’air fatiguée, ma petite Lucie…
Je souris faiblement.
— C’est… la famille qui s’invite un peu trop longtemps.
Elle hoche la tête avec compassion.
Le samedi suivant, alors que Julien dort après sa garde et que Paul regarde un match de foot en hurlant sur l’arbitre, je craque. Je m’enferme dans la salle de bains et laisse couler les larmes. Je me sens invisible dans ma propre maison.
Le soir-même, je décide d’agir. Après le dîner — pâtes carbonara que Paul a trouvées « trop sèches » — j’attends que Julien soit seul dans la cuisine.
— Il faut qu’on parle.
Il me regarde enfin vraiment.
— Je n’en peux plus, Julien. Ce n’est plus possible. J’ai besoin de retrouver notre vie à deux. Paul doit partir.
Il baisse les yeux.
— Il va mal…
— Et moi ? Tu ne vois pas que je vais mal aussi ?
Le lendemain matin, je trouve Paul en train de fouiller dans mes affaires pour chercher du sucre.
— Tu pourrais demander au moins !
Il hausse les épaules.
— C’est bon, on est en famille !
Je sens la colère monter.
— Justement ! En famille, on se respecte !
Il me regarde enfin droit dans les yeux.
— T’as jamais aimé que je sois là, hein ?
Je reste silencieuse. Il a raison. Mais ce n’est pas ça le problème. Le problème c’est qu’il ne voit pas ce qu’il impose aux autres.
Julien finit par intervenir ce soir-là. Il prend Paul à part dans le salon.
— Écoute frérot… Il faut que tu trouves une solution pour te loger. On t’aime beaucoup mais… on a besoin de retrouver notre intimité.
Paul explose :
— Super l’ambiance ! Je dérange tout le monde ici !
Il claque la porte de sa chambre improvisée et passe la nuit à envoyer des messages à ses potes pour trouver un canapé où dormir.
Le lendemain matin, il part sans dire au revoir. Julien est abattu. Moi je me sens coupable mais soulagée.
Les jours suivants sont étranges. Julien m’en veut un peu d’avoir « forcé » son frère à partir. Je culpabilise mais je sais que j’ai fait ce qu’il fallait pour sauver notre couple et ma santé mentale.
Parfois je me demande : pourquoi est-ce toujours aux femmes de porter le poids du bien-être familial ? Pourquoi nos limites sont-elles si souvent ignorées ? Est-ce égoïste de vouloir être respectée chez soi ? Qu’en pensez-vous ?