Depuis mes 18 ans, mon père m’a fait payer un loyer : aujourd’hui, il exige mon aide…

« Tu as dix-huit ans, Camille. Ici, ce n’est plus gratuit. »

Je me souviens encore de la voix sèche de mon père, ce matin-là, alors que je descendais à la cuisine, les yeux encore gonflés de sommeil. Il avait posé une feuille sur la table : un contrat de location, avec mon nom écrit maladroitement à la main. Je croyais à une mauvaise blague.

« Tu veux dire… que je dois payer pour vivre ici ? »

Il a haussé les épaules, sans même lever les yeux de son café. « Tu es adulte maintenant. J’ai fait mon devoir. Si tu veux rester, tu participes. Sinon, tu peux partir. »

Je n’avais nulle part où aller. Ma mère était partie depuis longtemps, et mes amis vivaient encore chez leurs parents, choyés, nourris, logés. Moi, je devais soudain trouver un job d’étudiante pour payer 300 euros par mois à mon propre père, en plus de mes courses alimentaires. Il disait que c’était pour m’apprendre la vie.

Les années ont passé. J’ai trimé dans des boulots précaires : serveuse au bistrot du coin, caissière au Franprix, baby-sitter le soir. Mon père ne m’a jamais demandé comment j’allais. Il voulait juste son virement chaque début de mois. Parfois, il glissait un mot : « Tu as payé ? » Rien d’autre.

À vingt-deux ans, j’ai enfin pu partir. Un studio minuscule à Montreuil, mais c’était chez moi. Je croyais que la distance apaiserait ma rancœur. Mais chaque appel de mon père me ramenait à cette sensation d’être une étrangère dans ma propre famille.

Il y a deux semaines, il m’a appelée. Sa voix était différente : fatiguée, presque suppliante.

« Camille… J’ai besoin de toi. »

J’ai cru qu’il était malade. Mais non : il venait de perdre son emploi à l’usine, et ses indemnités ne suffisaient plus à payer le loyer de notre vieille maison de banlieue.

« Tu pourrais m’aider un peu ? Tu sais… financièrement. »

J’ai eu un rire nerveux. « Tu veux que je te paie un loyer ? »

Il n’a pas compris l’ironie. Il a soupiré : « C’est normal, non ? Tu es ma fille… »

J’ai raccroché sans répondre. Depuis, il m’envoie des messages : « Je t’ai élevée », « Tu me dois bien ça », « La famille, c’est fait pour s’entraider ». Mais moi, je me souviens surtout des soirs où je mangeais des pâtes au beurre dans ma chambre parce que je n’avais pas assez pour acheter autre chose.

Mon frère Paul ne comprend pas ma colère. Lui est parti vivre chez notre mère à Lyon dès ses seize ans. « Papa est dur mais il t’aime », dit-il. Mais l’amour ne se mesure-t-il qu’en euros ?

Hier soir, j’ai croisé mon amie Sophie au café du coin. Elle a éclaté de rire en entendant mon histoire : « Chez moi, mes parents me supplient de rester ! Ils me font encore mes lessives ! »

Je suis rentrée chez moi le cœur lourd. Pourquoi ai-je eu un père si différent ? Est-ce la France d’aujourd’hui qui veut ça ? L’individualisme ? Ou juste lui ?

Je repense à toutes ces années où j’aurais voulu qu’il me serre dans ses bras au lieu de me tendre la main pour prendre mon chèque.

Aujourd’hui, je suis face à un dilemme : dois-je aider cet homme qui m’a appris la dureté avant la tendresse ? Ou dois-je enfin penser à moi et rompre ce cercle de dettes affectives ?

Est-ce que pardonner, c’est oublier ? Est-ce qu’on doit tout à ses parents sous prétexte qu’ils nous ont donné la vie ?

Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?