« De toute façon, il n’a jamais été question d’un délai ! » – J’ai prêté toutes mes économies à mon gendre
« Mais enfin, Paul, tu m’avais promis de me rembourser avant l’été ! » Ma voix tremble, résonne dans la cuisine silencieuse. Paul détourne les yeux, tripote nerveusement la poignée de sa tasse. Ma fille, Camille, assise en face de moi, serre les lèvres. Le silence s’installe, lourd, presque suffocant. Je sens mon cœur battre à tout rompre, comme si chaque pulsation me rappelait l’ampleur de ma naïveté.
Je m’appelle Madeleine, j’ai soixante-huit ans, et j’ai passé ma vie à compter chaque sou. Fille d’ouvriers, j’ai appris très tôt que l’argent ne tombe pas du ciel. J’ai travaillé trente-huit ans à la Poste de Dijon, refusant les petits plaisirs pour mettre de côté, sou après sou, pour mes vieux jours. Je rêvais d’une retraite tranquille, de petits voyages en Bretagne, de cafés en terrasse avec mes amies. Mais tout cela s’est envolé le jour où Paul est venu frapper à ma porte.
C’était un dimanche de janvier, il pleuvait à verse. Paul avait l’air défait, les traits tirés, les yeux cernés. « Madeleine, je t’en supplie, il faut que tu m’aides. L’entreprise va mal, la banque ne veut plus suivre. Si je ne trouve pas 40 000 euros d’ici la fin du mois, je perds tout. Camille et les enfants… on sera à la rue. »
J’ai hésité. J’ai pensé à mes économies, à cette somme qui me rassurait chaque soir. Mais j’ai vu la détresse dans ses yeux, et surtout, j’ai pensé à Camille, à mes petits-enfants. Comment aurais-je pu refuser ?
« Je te rembourserai dès que possible, c’est promis. »
J’ai vidé mon Livret A, cassé mon assurance-vie. J’ai signé un chèque, la main tremblante. Paul m’a serrée dans ses bras. Camille m’a remerciée en pleurant. Je me suis sentie utile, aimée, indispensable.
Les semaines ont passé. J’ai attendu des nouvelles. Paul m’évitait, prétextant le travail. Camille me disait de patienter, que tout allait s’arranger. Mais l’été est arrivé, puis l’automne. Toujours rien. J’ai commencé à m’inquiéter. Les factures s’accumulaient, ma chaudière est tombée en panne. J’ai dû demander une aide sociale pour la première fois de ma vie. La honte m’a submergée.
Un soir, j’ai surpris une conversation entre Camille et Paul. « Elle commence à poser des questions. On fait quoi ? »
J’ai compris que je n’étais plus une mère, ni une belle-mère, mais un problème à gérer.
J’ai tenté d’en parler à Camille. Elle a éclaté : « Tu crois qu’on ne culpabilise pas assez comme ça ? Tu veux qu’on se sente encore plus minables ? »
J’ai pleuré toute la nuit. J’ai repensé à mon père, qui disait toujours : « La famille, c’est sacré, mais il ne faut jamais tout donner. » J’ai voulu croire que l’amour suffisait, que la confiance était plus forte que l’argent. Mais aujourd’hui, je me sens trahie.
J’ai consulté une assistante sociale. Elle m’a conseillé de demander un remboursement officiel, d’envoyer une lettre recommandée. Mais comment faire ça à ma propre fille ?
J’ai tenté une dernière fois de parler à Paul. Il a haussé les épaules : « De toute façon, il n’a jamais été question d’un délai ! Tu savais que c’était risqué. »
J’ai senti la colère monter, une colère froide, sourde. J’ai claqué la porte, le cœur brisé.
Depuis, je vis avec ce vide, cette amertume. Je me demande chaque jour si j’ai eu raison de sacrifier ma sécurité pour eux. Je me sens seule, trahie, mais aussi coupable de leur en vouloir.
Est-ce que j’ai été trop naïve ? Est-ce que la famille mérite vraiment tous les sacrifices ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?