À 62 ans, mon mari m’a quittée pour une voyante : la fin d’une vie, le début d’une autre ?
« Tu comprends, Anne… Je ne peux plus continuer comme ça. »
La voix de Marc tremblait à peine, mais ses yeux fuyaient les miens. Je me souviens de ce matin d’octobre comme si c’était hier : la lumière grise filtrait à travers les rideaux, le café refroidissait sur la table, et mon cœur s’est arrêté. Après trente-cinq ans de mariage, il m’annonçait qu’il partait. Pas pour une collègue, pas pour une voisine, mais pour une voyante. Oui, une femme qui prétendait lire l’avenir dans les cartes et les lignes de la main.
J’ai éclaté de rire, un rire nerveux, presque hystérique. « Tu plaisantes ? Marc, c’est ridicule ! » Mais il ne plaisantait pas. Il avait rencontré Sylvie lors d’une soirée chez des amis communs. Elle lui avait prédit un grand bouleversement dans sa vie, un amour inattendu. Il avait cru à ses mots comme un enfant croit au Père Noël.
Je me suis sentie trahie, humiliée. Comment pouvait-il me faire ça ? Après toutes ces années, après avoir élevé ensemble nos deux enfants, après avoir traversé la maladie de mon père, les licenciements, les vacances annulées faute d’argent…
Le soir même, j’ai appelé ma fille, Claire. « Papa est parti », ai-je simplement dit. Elle a cru à une dispute passagère. Mais non. Marc avait déjà fait ses valises. Il avait laissé ses clés sur la commode de l’entrée, comme s’il partait juste faire une course.
Les jours suivants ont été un cauchemar éveillé. Je tournais en rond dans notre appartement de Montrouge, chaque objet me rappelant un souvenir : la cafetière offerte pour nos vingt ans de mariage, le plaid que nous avions choisi ensemble chez Monoprix, les photos de famille sur le buffet…
Ma sœur, Hélène, est venue me voir. « Anne, tu dois te ressaisir ! » Mais comment ? J’avais 62 ans, je n’avais jamais vécu seule. Je n’avais même jamais pris de vacances sans Marc. J’avais sacrifié mes rêves pour notre famille : j’avais arrêté de travailler quand Claire était petite, puis j’avais repris un mi-temps à la bibliothèque municipale. Ma vie tournait autour des autres.
Un soir, j’ai croisé Marc et Sylvie dans la rue. Ils riaient comme deux adolescents. Sylvie portait une longue jupe colorée et des bracelets qui tintaient à chaque mouvement. Elle m’a regardée droit dans les yeux et m’a dit : « Anne, il faut accepter le changement. » J’ai eu envie de la gifler.
Les semaines ont passé. Les amis communs ont choisi leur camp – certains m’ont appelée pour prendre des nouvelles, d’autres ont disparu sans un mot. J’ai découvert la solitude comme une gifle froide chaque matin.
Un dimanche, Claire est venue déjeuner avec ses enfants. Elle a posé sa main sur la mienne : « Maman, tu dois penser à toi maintenant. » Mais comment fait-on ça quand on a passé sa vie à penser aux autres ?
J’ai commencé à écrire dans un carnet. À raconter mes journées vides, mes colères sourdes, mes souvenirs heureux et douloureux. J’ai pleuré en relisant mes propres mots.
Un jour, à la bibliothèque où je travaille encore quelques heures par semaine, une lectrice âgée m’a dit : « Vous avez l’air triste, Anne… Vous savez, on n’est jamais trop vieille pour recommencer. »
Cette phrase a résonné en moi comme un écho lointain. Recommencer ? Mais par où ?
J’ai pris rendez-vous chez le coiffeur – pour la première fois depuis des années, j’ai coupé mes cheveux courts. J’ai acheté un billet pour aller voir la mer à Dieppe toute seule. J’ai repris contact avec une ancienne amie d’enfance perdue de vue depuis longtemps.
Mais le soir venu, la solitude me rattrapait toujours. Je repensais à Marc : comment avait-il pu croire aux promesses d’une voyante ? Avait-il été malheureux toutes ces années sans que je le voie ? Ou bien était-ce moi qui avais fermé les yeux sur ses frustrations ?
Un jour, il m’a appelée : « Anne… Je voulais savoir si tu allais bien. » Sa voix était hésitante. J’ai failli lui raccrocher au nez.
« Tu veux vraiment savoir ? Non, je ne vais pas bien ! Tu as détruit ma vie pour une illusion ! »
Il a soupiré : « Je suis désolé… Je ne voulais pas te faire de mal… »
Mais le mal était fait.
J’ai raccroché en tremblant.
Aujourd’hui encore, je me demande si je saurai un jour pardonner – à lui, à moi-même aussi peut-être. J’essaie d’apprivoiser cette nouvelle vie qui n’a plus rien à voir avec celle que j’avais imaginée.
Parfois je me surprends à sourire devant une série télé ou en lisant un bon roman policier. Parfois je pleure en voyant un couple âgé se tenir la main dans le métro.
La vie continue – différente, cabossée mais vivante.
Est-ce qu’on peut vraiment recommencer à 62 ans ? Est-ce que la trahison finit par s’effacer ou reste-t-elle gravée en nous pour toujours ? Qu’en pensez-vous ?