La porte qui se referme : une mère face à l’incompréhension

— Tu ne comprends donc jamais rien, maman !

La voix de Paul résonne encore dans le couloir, tranchante, presque étrangère. Je serre le torchon dans mes mains, debout devant la porte close de son appartement, le pot de soupe maison encore chaud dans mon sac. J’ai fait tout ce chemin depuis Montrouge, traversé Paris sous la pluie, juste pour lui apporter un peu de réconfort. Mais il n’a même pas ouvert la porte en grand. Il a juste entrouvert, m’a regardée avec cette lassitude dans les yeux, et puis… il a claqué.

Je reste là, figée, le cœur battant trop fort. Les voisins passent, me jettent un regard gêné. Je sens mes joues brûler. Comment en sommes-nous arrivés là ?

Paul était tout pour moi. Après la mort de son père, il n’avait que moi. J’ai travaillé dur, accepté des heures supplémentaires à la mairie, pour qu’il ne manque de rien. Je me souviens encore de ses petits bras autour de mon cou, de ses rires dans le parc Montsouris. Mais aujourd’hui, il n’y a plus de place pour moi dans sa vie.

Tout a changé quand il a rencontré Camille. Une femme élégante, issue d’une bonne famille lyonnaise, toujours polie mais distante avec moi. Dès le début, j’ai senti qu’elle me jugeait. Elle trouvait mes plats trop lourds, mes conseils trop envahissants. Paul, lui, riait, disait que j’étais « la meilleure maman du monde ». Mais peu à peu, il a changé.

— Maman, tu pourrais prévenir avant de venir, tu sais…

— Je voulais juste te faire plaisir, Paul. Tu travailles tellement, tu dois être fatigué…

— Oui, mais Camille n’aime pas trop qu’on débarque à l’improviste.

Je me suis sentie de trop, mais je me suis dit que ça passerait. Que c’était normal, qu’il fallait que je m’adapte. Mais aujourd’hui, la porte s’est vraiment fermée.

Je descends les escaliers, la soupe tremblant dans mes mains. Dans la rue, je m’arrête, incapable de retenir mes larmes. Un SMS arrive : « Désolé maman, mais il faut que tu comprennes que j’ai une vie maintenant. »

Je relis le message dix fois. Une vie maintenant ? Et moi, alors ? Je ne suis plus sa vie ?

Le soir, je rentre dans mon petit appartement. J’allume la radio pour ne pas entendre le silence. Je repense à toutes ces années, à tous ces sacrifices. J’ai refusé de refaire ma vie pour lui. J’ai mis de côté mes envies, mes rêves. Et aujourd’hui, il me rejette.

Le lendemain, ma sœur Martine m’appelle.

— Tu as l’air fatiguée, Françoise. Qu’est-ce qu’il se passe ?

Je craque. Je lui raconte tout. Elle soupire.

— Tu sais, il faut leur laisser de l’espace. Les enfants, ça grandit…

— Mais je voulais juste l’aider !

— Oui, mais tu dois penser à toi aussi. Tu as le droit d’exister sans lui.

Je raccroche, bouleversée. Penser à moi ? Mais comment ? Toute ma vie a tourné autour de Paul. Je n’ai plus d’amies, plus de passions. Juste mon fils… qui ne veut plus de moi.

Les jours passent. Je n’ose plus l’appeler. Je regarde ses photos d’enfance, je relis ses anciens messages. Je me demande si j’ai trop donné, si j’ai étouffé son amour. Peut-être que Camille a raison : je suis trop présente, trop envahissante.

Un dimanche, je croise mon voisin, Monsieur Dupuis, dans l’ascenseur.

— Vous n’allez pas voir votre fils aujourd’hui ?

Je souris tristement.

— Non, il est occupé…

Il me regarde avec compassion.

— Vous savez, les enfants… ils reviennent toujours. Mais il faut leur laisser le temps.

Je voudrais le croire. Mais au fond de moi, une angoisse sourde grandit. Et si Paul ne revenait jamais ?

Un soir, je décide d’écrire une lettre à Paul. Pas un SMS, pas un mail. Une vraie lettre, comme avant.

« Mon cher Paul,
Je t’écris parce que je ne sais plus comment te parler. Je suis désolée si je t’ai étouffé, si j’ai voulu trop bien faire. Je t’aime plus que tout, mais je comprends que tu aies besoin de ta vie à toi. Sache que je serai toujours là, même si tu ne veux plus de ma soupe. Je t’embrasse, maman. »

Je glisse la lettre dans une enveloppe, je la poste le lendemain. Je n’attends pas de réponse. Mais au moins, j’ai dit ce que j’avais sur le cœur.

Les semaines passent. Je commence à sortir un peu, à aller au cinéma avec Martine, à prendre un café en terrasse. Petit à petit, la douleur s’apaise. Je me dis que peut-être, il faut apprendre à vivre pour soi, même quand on est mère.

Un soir, alors que je rentre, mon téléphone sonne. C’est Paul.

— Maman… Je suis désolé pour l’autre jour. Camille et moi, on traverse une période compliquée. J’ai été injuste avec toi.

Je retiens mon souffle.

— Tu veux venir dîner dimanche ?

Je sens les larmes monter, mais cette fois, ce sont des larmes de soulagement.

— Oui, mon chéri. Avec plaisir.

En raccrochant, je me demande : jusqu’où une mère doit-elle aller pour son enfant ? Et à quel moment doit-on apprendre à se choisir soi-même ?

Et vous, avez-vous déjà ressenti ce moment où l’amour devient trop lourd à porter ?