Sous le même toit, sous le même poids : Ma mère, moi, et la foi face à la précarité

« Tu crois qu’on va s’en sortir, Camille ? » La voix de ma mère, tremblante, résonne dans la cuisine glaciale de notre appartement HLM à Montreuil. Je serre la tasse de thé entre mes mains, tentant de masquer mes propres doutes. Les factures s’étalent sur la table, menaçantes comme des vautours. EDF, loyer, assurance… Je lis la peur dans ses yeux fatigués. Depuis que Papa est parti, il y a trois ans, tout s’est effondré.

Je me souviens de ce soir-là, où j’ai surpris Maman, Françoise, assise dans le noir, les épaules secouées de sanglots. J’avais 19 ans, je venais de rater ma première année de fac, et je me sentais déjà inutile. « On va prier, Maman », ai-je murmuré, plus pour me rassurer que pour la convaincre. Elle a hoché la tête, et nous avons joint les mains, cherchant un peu de chaleur dans la foi que ma grand-mère m’avait transmise.

Les semaines suivantes, j’ai enchaîné les petits boulots : caissière chez Monoprix, baby-sitter pour les voisins, aide aux devoirs pour les enfants du quartier. Chaque euro gagné était une victoire, mais aussi une humiliation silencieuse. Je voyais mes amis partir en vacances, parler de leurs projets d’études, tandis que je calculais le prix du pain et du lait.

Un soir, alors que je rentrais tard, j’ai trouvé Maman en train de discuter avec notre voisine, Madame Lefèvre. « Tu sais, Françoise, il y a l’association Saint-Vincent-de-Paul qui peut t’aider… » Ma mère a secoué la tête, fière, refusant la charité. Mais moi, j’ai noté l’adresse. Le lendemain, j’y suis allée. J’ai rencontré Sœur Agnès, une femme au sourire doux, qui m’a tendu un sac de provisions et m’a proposé de prier avec elle. J’ai pleuré, honteuse et soulagée à la fois.

À la maison, j’ai caché les courses dans le placard, prétendant qu’elles venaient d’une promotion. Maman n’a rien dit, mais j’ai vu ses yeux briller de gratitude. La prière est devenue notre rituel du soir. « Seigneur, donne-nous la force de tenir encore un jour », murmurait-elle. Parfois, je doutais. Où était Dieu quand le frigo était vide ? Quand le propriétaire menaçait de nous expulser ? Mais chaque matin, je me levais, portée par l’espoir ténu que quelque chose finirait par changer.

Les tensions n’ont pas tardé à éclater. Un dimanche, alors que je refusais de sortir avec des amis pour garder ma petite sœur, Maman a explosé : « Tu n’es pas obligée de tout sacrifier pour moi ! » J’ai crié à mon tour, la colère et la fatigue me submergeant. « Et qui le fera, sinon moi ? Tu crois que j’ai choisi cette vie ? » Les mots ont claqué, blessants. Ma sœur, Lucie, s’est mise à pleurer. Ce soir-là, j’ai prié seule, demandant pardon à Dieu et à ma mère.

Peu à peu, j’ai compris que la foi n’était pas une baguette magique. Elle ne payait pas les factures, mais elle m’aidait à tenir debout. Un jour, Sœur Agnès m’a proposé de rejoindre un groupe de jeunes bénévoles. J’ai accepté, d’abord par politesse, puis par besoin de sortir de mon isolement. Là, j’ai rencontré Thomas, un étudiant en droit, qui m’a écoutée sans juger. « Tu sais, Camille, la précarité, ça peut arriver à tout le monde. Ce n’est pas une honte. » Ses mots m’ont réconfortée plus que toutes les prières.

À la maison, les choses n’ont pas vraiment changé. Les fins de mois restaient difficiles, mais il y avait plus de rires, plus de complicité. Maman a accepté l’aide alimentaire, Lucie a commencé à mieux travailler à l’école, et moi, j’ai repris mes études par correspondance. Un soir, alors que nous partagions un repas simple, Maman a posé sa main sur la mienne : « Merci d’être là, Camille. Sans toi… » Sa voix s’est brisée. J’ai souri à travers mes larmes. « On est ensemble, Maman. Et Dieu veille sur nous. »

Aujourd’hui, je ne prétends pas avoir trouvé toutes les réponses. Il y a encore des jours où la peur me serre le ventre, où je doute de tout. Mais je sais que la foi, ce n’est pas attendre un miracle. C’est trouver la force de se battre, chaque jour, pour ceux qu’on aime.

Est-ce que d’autres vivent la même chose ? Est-ce que la foi peut vraiment nous aider à traverser les tempêtes de la vie ?