Le Secret de Baptiste : Mariage Caché et Famille Déchirée

— Tu n’as pas honte, Baptiste ? Tu nous fais ça après tout ce qu’on a fait pour toi ?

La voix de ma mère résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la lettre dans ma main, celle que Camille m’a écrite la veille de notre départ pour Lisbonne. Mon cœur bat à tout rompre. Je n’ai jamais vu ma mère aussi furieuse, ni mon beau-père aussi silencieux. Il regarde par la fenêtre, les mâchoires crispées, comme s’il voulait disparaître.

Je m’appelle Baptiste. J’ai trente ans, fils unique d’une mère possessive et d’un beau-père qui m’a élevé comme son propre fils depuis que mon père biologique est parti sans un mot. Ma mère, Françoise, a toujours voulu le meilleur pour moi, mais à sa façon : contrôlante, exigeante, incapable d’accepter que je puisse aimer quelqu’un qui ne lui ressemble pas.

Tout a commencé il y a deux ans, quand j’ai rencontré Camille à la fac de droit à Bordeaux. Elle était différente : spontanée, drôle, passionnée par la littérature portugaise. Elle n’était pas issue du même milieu que nous. Sa mère était infirmière, son père ouvrier à l’usine PSA de Poissy. Mais moi, je l’aimais pour tout ce qu’elle était et tout ce qu’elle n’était pas.

Le jour où je l’ai présentée à mes parents, j’ai senti le malaise dès le seuil de la porte. Ma mère a esquissé un sourire poli, mais ses yeux ont tout dit : elle n’approuvait pas. Le dîner a été un supplice. Françoise a posé des questions insidieuses sur la famille de Camille, sur ses ambitions, sur ses origines. Mon beau-père, Gérard, tentait maladroitement de détendre l’atmosphère :

— Alors Camille, vous aimez le rugby ?

Camille a ri doucement :
— Je préfère les livres…

Ma mère a levé les yeux au ciel. J’ai senti la honte me brûler les joues.

Après ce soir-là, tout a changé. Ma mère ne parlait plus de Camille que pour critiquer : « Elle n’est pas faite pour toi », « Tu mérites mieux », « Tu gâches ton avenir ». Gérard restait en retrait, mais je voyais bien qu’il n’osait pas s’opposer à elle.

Camille a tenu bon pendant un an. Mais chaque visite était une épreuve. Un jour, elle m’a dit :
— Baptiste, je t’aime, mais je ne peux plus supporter ça. On dirait que je dois passer un examen à chaque fois…

J’ai essayé d’arrondir les angles avec ma mère. Rien n’y faisait. Elle voulait choisir ma vie comme elle avait choisi mes vêtements quand j’étais petit.

Alors on a pris une décision folle : partir se marier à Lisbonne, là où personne ne nous jugerait. On a invité quelques amis proches, la sœur de Camille et son compagnon. J’ai écrit une lettre à mes parents que je n’ai jamais envoyée. J’avais peur de leur réaction, peur de les blesser, peur surtout de perdre leur amour.

Le mariage était simple et beau. Sur une terrasse surplombant le Tage, Camille portait une robe blanche légère et moi un costume bleu marine. On riait, on pleurait, on dansait jusqu’à l’aube avec nos amis portugais. Mais au fond de moi, un vide grandissait : celui du secret.

De retour en France, j’ai continué à mentir. Je disais que Camille et moi étions simplement partis en vacances. Ma mère posait des questions : « Vous ne pensez pas au mariage ? » Je répondais évasivement.

Un soir d’hiver, alors que Camille et moi dînions chez nous à Montreuil, mon téléphone a vibré : c’était Gérard.
— Baptiste… Ta mère est tombée sur une photo sur Facebook… Toi en costume… avec Camille en blanc…

J’ai senti le sol se dérober sous mes pieds.

Le lendemain, j’étais convoqué chez eux. La scène était irréelle : ma mère pleurait de rage et d’humiliation.
— Tu nous as trahis ! Tu as eu honte de nous ?

Je voulais lui dire que non, que c’était moi qui avais eu honte d’être incapable de m’opposer à elle. Que j’avais eu peur qu’elle gâche ce jour si précieux pour moi et Camille.

Gérard a pris la parole pour la première fois depuis longtemps :
— Françoise… Peut-être qu’on devrait essayer de comprendre…

Elle l’a fusillé du regard.
— Comprendre quoi ? Qu’il préfère cette fille à sa propre famille ?

Je me suis levé d’un bond.
— Ce n’est pas une question de préférence ! Je vous aime tous les deux… Mais j’aime Camille aussi ! Pourquoi est-ce si difficile à accepter ?

Le silence s’est abattu sur la pièce. J’ai vu dans les yeux de ma mère une douleur immense — celle d’une femme qui perd son fils unique au profit d’une autre femme.

Depuis ce jour-là, rien n’est plus pareil. Ma mère ne veut plus voir Camille. Gérard m’appelle parfois en cachette pour prendre des nouvelles. Camille me soutient mais je sens bien que cette situation la ronge.

Parfois je me demande : ai-je eu raison de cacher mon mariage ? Aurais-je dû affronter mes parents plus tôt ? Est-ce qu’on peut vraiment choisir entre sa famille et l’amour de sa vie ?

Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ? Peut-on vraiment être heureux quand on doit choisir entre ceux qu’on aime ?