Ils attendent ma mort, mais j’ai choisi ma propre fin

« Tu sais, Hélène, tu pourrais au moins penser à nous. À ton âge, tu n’as plus besoin de tout ça… »

La voix de ma nièce, Camille, résonne encore dans la cuisine. Elle est venue, comme chaque dimanche, avec son sourire forcé et ses questions déguisées : « Tu n’as jamais pensé à vendre la maison ? Tu sais, c’est grand pour une seule personne… »

Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes. Je sens leur impatience, leur avidité. Depuis la mort de mes parents, cette maison est devenue le centre de toutes les convoitises familiales. Mon frère, Jean-Marc, ne m’adresse plus la parole que pour parler d’argent ou d’héritage. Ma sœur, Véronique, m’envoie des messages passifs-agressifs : « Tu sais, si tu as besoin d’aide pour gérer tes affaires… »

Mais ils ne savent rien de moi. Ils n’ont jamais cherché à comprendre pourquoi je vis seule, pourquoi je n’ai pas eu d’enfants. Ils ignorent tout de mes nuits blanches, de mes souvenirs qui me hantent.

J’avais 28 ans quand j’ai cru à l’amour. J’ai épousé Philippe, un collègue du bureau d’études où je travaillais à Lyon. Il était charmant, drôle, et surtout il me faisait sentir vivante. Mais six mois après notre mariage, j’ai découvert l’impensable : il avait une maîtresse. Pire encore, il l’a invitée chez nous pendant que j’étais au travail. Un soir, je suis rentrée plus tôt et je les ai trouvés dans notre salon, riant comme si tout était normal.

« Hélène, tu dramatises… Ce n’est pas ce que tu crois », a-t-il osé dire.

Je suis partie sans me retourner. J’ai laissé derrière moi les promesses brisées et les rêves d’enfant. Depuis ce jour, j’ai appris à me méfier des gens, même de ceux qui portent mon nom.

Les années ont passé. J’ai travaillé dur pour garder cette maison. J’ai refusé toutes les propositions de rachat de promoteurs immobiliers qui voulaient transformer le quartier en lotissement moderne. Ici, chaque pièce raconte une histoire : la chambre d’amis où ma mère venait dormir quand elle se disputait avec mon père ; le jardin où mon père m’apprenait à reconnaître les oiseaux ; la cuisine où je préparais des tartes aux pommes pour mes neveux quand ils étaient encore sincères.

Mais aujourd’hui, tout cela ne compte plus pour eux. Ils ne voient que la valeur du terrain, le potentiel d’un héritage facile.

Un soir d’automne, alors que la pluie frappait les vitres et que le vent faisait craquer les volets, j’ai pris une décision. J’ai contacté Maître Lefèvre, mon notaire à Villeurbanne.

« Je veux rédiger un testament », ai-je dit d’une voix ferme.

Il a levé les yeux vers moi, surpris par ma détermination.

« Vous souhaitez léguer votre maison à quelqu’un en particulier ? »

J’ai souri tristement.

« À une association. Pas à ma famille. Ils n’ont jamais rien fait pour moi sinon attendre que je disparaisse. »

Maître Lefèvre a hoché la tête avec compréhension. Nous avons passé des heures à discuter des modalités. J’ai choisi une association locale qui aide les femmes victimes de violences conjugales. Peut-être qu’ainsi, ma maison deviendra un refuge pour celles qui ont vécu ce que j’ai vécu.

Le lendemain, Camille est revenue avec son air faussement concerné.

« Tu sais, tata, on pourrait t’aider à organiser tes papiers… »

Je l’ai regardée droit dans les yeux.

« Merci Camille, mais tout est déjà réglé. »

Elle a blêmi. J’ai vu dans son regard qu’elle comprenait qu’elle n’aurait rien.

Les semaines suivantes ont été tendues. Jean-Marc a tenté de me convaincre :

« Hélène, tu fais une erreur. La famille passe avant tout ! »

Je lui ai répondu calmement :

« La famille ? Où étiez-vous quand j’avais besoin de vous ? Quand j’étais seule après mon divorce ? Quand maman est morte et que j’ai dû tout gérer ? »

Il n’a rien dit. Il a claqué la porte.

Véronique a essayé une autre approche :

« Tu es sûre que tu vas bien ? Tu sais, parfois on prend des décisions qu’on regrette… »

Je l’ai interrompue :

« Je n’ai jamais été aussi sûre de moi. »

Depuis ce jour-là, le silence s’est installé entre nous. Je reçois moins d’appels, moins de visites. Mais je me sens enfin libre.

Parfois, le soir, je m’assois sur le banc du jardin et je repense à tout ce que j’ai traversé : la trahison de Philippe, l’indifférence de ma famille, la solitude qui m’a rongée pendant des années. Mais aujourd’hui, cette solitude est devenue ma force.

J’imagine déjà ces femmes qui trouveront refuge ici après avoir fui l’enfer conjugal. Peut-être qu’elles sentiront encore le parfum des roses que maman plantait sous la fenêtre ou entendront les rires d’autrefois résonner dans les couloirs.

Je me demande : qu’est-ce qui fait vraiment une famille ? Le sang ou le cœur ? Est-ce égoïste de vouloir choisir sa propre fin plutôt que de céder à ceux qui n’ont jamais su aimer autrement qu’à travers l’argent ?

Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?