Pourquoi j’ai supplié ma fille de ne pas quitter son mari riche : Confessions d’une mère française
« Maman, je pars. Ce soir. »
La voix de Grâce tremblait, mais son regard était décidé. Il était vingt-trois heures passées, la pluie battait contre les vitres de notre appartement à Villeurbanne, et je venais à peine d’enfiler mon peignoir. Je n’ai pas eu le temps de répondre qu’elle jetait déjà sa valise sur le canapé, essuyant d’un revers de main les larmes qui coulaient sur ses joues.
« Tu ne comprends pas… Je n’en peux plus. Je préfère vivre sous un pont que de rester une minute de plus avec lui. »
Je me suis figée. Comment pouvait-elle dire cela ? Elle, ma fille, qui avait tout : une maison à la Croix-Rousse, des vacances à Megève, des sacs Hermès alignés dans son dressing comme des trophées. Je me suis assise à côté d’elle, cherchant mes mots.
« Grâce… Tu sais ce que tu fais ? Tu réalises ce que tu risques de perdre ? »
Elle a éclaté en sanglots. Son mascara coulait, noir sur sa peau pâle. J’ai eu un flash : la petite fille qu’elle était, qui rêvait déjà de robes longues et de bals dans les châteaux. Je me suis revue, moi, Naomi, jeune mère célibataire, galérant à payer le loyer et à remplir le frigo. J’avais tout fait pour qu’elle ne manque jamais de rien. Et voilà qu’elle voulait tout balancer.
« Maman… Étienne n’est pas celui que tu crois. Il me parle comme à une moins que rien. Il me rabaisse devant ses amis, il contrôle tout : ce que je porte, ce que je mange… Même mes sorties avec Camille ou Lucie, il les critique ! »
J’ai senti la colère monter en moi. Mais pas contre Étienne. Contre elle. Comment osait-elle se plaindre ? Tant de femmes donneraient tout pour vivre sa vie !
« Grâce, tu crois que la vie est plus facile dehors ? Tu crois que tu vas retrouver un homme comme lui ? Tu as oublié d’où on vient ? Tu veux retourner dans un deux-pièces sans ascenseur ? »
Elle s’est levée brusquement.
« Alors c’est ça ? Tu préfères que je sois malheureuse mais riche ? Tu veux que je me taise et que je fasse semblant ? »
J’ai baissé les yeux. Je n’ai pas su quoi répondre. Mon cœur se serrait : je voulais la protéger du manque, du froid, de la honte sociale qui m’avait collée à la peau toute ma jeunesse. Mais à quel prix ?
Elle a continué :
« Tu sais ce qu’il m’a dit hier ? Que sans lui je ne serais rien. Que personne ne voudrait jamais d’une femme comme moi. Il m’a traitée d’ingrate devant ses parents… Et toi, tu veux que je reste ? »
Je me suis levée à mon tour. La pluie redoublait dehors ; on aurait dit que le ciel pleurait avec nous.
« Grâce… Je t’en supplie… Réfléchis. Pense à ta fille, à Chloé. Elle a besoin de stabilité. Tu veux vraiment qu’elle grandisse sans père ? Tu veux qu’elle connaisse la galère comme toi et moi ? »
Elle a serré les poings.
« Mais quelle stabilité ? Elle voit bien que je pleure tous les soirs ! Elle entend ses cris ! Tu crois que c’est ça, une famille ? »
Un silence lourd s’est installé. J’ai repensé à mon propre mariage raté avec Paul, au mépris des voisins quand il est parti, aux regards en coin à la sortie de l’école. J’ai repensé aux heures passées à compter les centimes pour acheter du lait.
« Grâce… On n’a pas le même courage, toi et moi. Moi j’ai choisi la survie. Toi tu veux choisir le bonheur… Mais le bonheur, ça ne paie pas les factures. »
Elle a éclaté de rire – un rire amer.
« Tu sais quoi ? Je préfère être pauvre et libre que riche et prisonnière ! »
Elle a attrapé sa valise et s’est dirigée vers la porte. J’ai voulu la retenir par le bras.
« Attends ! Où vas-tu dormir ? Tu n’as rien préparé ! Et Chloé ? Tu vas l’arracher à son école privée ? À ses amis ? »
Elle s’est arrêtée sur le seuil.
« Je dormirai où je pourrai. Mais au moins je dormirai en paix. Et Chloé comprendra plus tard… Je ne veux pas qu’elle pense qu’une femme doit tout accepter pour un peu de confort ! »
La porte a claqué derrière elle.
Je suis restée là, seule dans le salon silencieux, envahie par la peur et la culpabilité. Avais-je eu tort de lui conseiller de rester ? Avais-je sacrifié son bonheur sur l’autel de la sécurité matérielle ?
Les jours suivants ont été un enfer. Les appels d’Étienne – furieux – qui me reprochait d’avoir « monté Grâce contre lui ». Les messages de Chloé qui voulait voir sa mère. Les voisins qui chuchotaient dans l’ascenseur.
Et puis un soir, Grâce est revenue. Fatiguée mais droite.
« Maman… Je vais demander le divorce. J’ai trouvé un petit appartement à Vaise. Ce sera dur mais… je veux essayer. Pour moi. Pour Chloé aussi. »
J’ai pleuré dans ses bras comme une enfant.
Aujourd’hui encore je doute : ai-je été une bonne mère en voulant la retenir ? Ou aurais-je dû l’encourager à partir plus tôt ? Est-ce vraiment si grave de choisir la liberté au lieu du confort matériel ? Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?