Quand ma belle-mère a voulu rajeunir : Chronique d’un désastre capillaire à Lyon
— Camille, tu crois que cette crème pourrait marcher aussi sur mes cheveux ?
Je me suis figée, le tube de crème entre les mains, les yeux rivés sur Françoise, ma belle-mère. Elle était assise à la table de la cuisine, ses doigts fins triturant nerveusement une mèche de ses cheveux gris. J’ai hésité, puis j’ai souri poliment, comme on le fait quand on ne veut pas froisser quelqu’un :
— C’est une crème pour le visage, Françoise…
Mais elle n’écoutait déjà plus. Depuis la mort de son mari, elle passait ses journées à feuilleter des magazines féminins, obsédée par la jeunesse perdue. Je la voyais s’enfoncer dans cette nostalgie, et moi, je me sentais impuissante. Je travaillais dans une petite parfumerie du centre-ville de Lyon, et je ramenais souvent des échantillons à la maison. C’était devenu notre rituel : elle testait tout, moi je commentais. Mais ce jour-là, tout a dérapé.
Le lendemain matin, j’ai entendu un cri perçant venant de la salle de bain. J’ai accouru, le cœur battant. Françoise était devant le miroir, les mains dans les cheveux, des mèches entières tombaient dans le lavabo.
— Camille ! Regarde ! Mes cheveux !
J’ai senti la panique monter en moi. La crème avait brûlé ses cheveux fins. Elle s’est tournée vers moi, les yeux pleins de larmes et de colère.
— Pourquoi tu ne m’as pas arrêtée ? Tu savais que ça pouvait arriver !
Je suis restée sans voix. Comment lui expliquer que je n’avais pas osé la contredire ? Que j’avais eu peur de la blesser ?
Les jours suivants ont été un enfer. Françoise ne sortait plus de sa chambre. Elle refusait de voir ses amies, d’aller au marché, même d’ouvrir les volets. Mon compagnon, Julien, rentrait tard du travail pour éviter les tensions. À table, le silence était pesant.
Un soir, alors que je débarrassais la table, Françoise est entrée dans la cuisine. Son visage était fermé.
— Tu sais, Camille, tu ne seras jamais vraiment de la famille.
Ses mots m’ont transpercée. J’ai voulu répliquer, mais rien n’est sorti. Depuis des années, je faisais tout pour plaire à cette femme : je cuisinais ses plats préférés, je l’accompagnais chez le médecin, je supportais ses remarques acerbes sur ma façon d’élever mes enfants… Et voilà qu’un simple tube de crème avait tout détruit.
Le lendemain matin, j’ai trouvé une lettre sur la table du salon. Françoise annonçait qu’elle partait chez sa sœur à Annecy « pour réfléchir ». Julien a lu la lettre sans un mot, puis il m’a regardée avec une tristesse que je n’avais jamais vue dans ses yeux.
— Tu aurais dû lui dire non…
J’ai éclaté en sanglots. Comment expliquer ce sentiment d’être toujours en faute ? Toujours responsable du malheur des autres ?
Les semaines ont passé. La maison était vide sans Françoise. Les enfants demandaient après leur grand-mère. Julien et moi nous sommes éloignés l’un de l’autre. Je me suis réfugiée dans mon travail, évitant les questions des collègues.
Un jour, alors que je rangeais les rayons de la parfumerie, une cliente âgée s’est approchée :
— Vous savez, ma petite-fille m’a offert une crème anti-rides… Mais ce qui me manque vraiment, c’est qu’on me regarde comme avant.
Ses mots m’ont bouleversée. J’ai compris que Françoise ne cherchait pas à rajeunir ses cheveux : elle voulait qu’on l’aime encore, qu’on la regarde avec tendresse.
J’ai pris mon téléphone et j’ai appelé Françoise. Elle a décroché après plusieurs sonneries.
— Camille ?
Sa voix tremblait.
— Je suis désolée… J’aurais dû t’arrêter… J’aurais dû te dire non…
Un silence. Puis elle a murmuré :
— Moi aussi je suis désolée… Je voulais juste me sentir belle encore une fois.
Nous avons pleuré ensemble au téléphone. Quelques jours plus tard, elle est revenue à la maison. Nous avons parlé longtemps, de tout ce qui nous pesait depuis des années : la peur de vieillir, le sentiment d’être inutile, les maladresses qui blessent sans qu’on le veuille.
Aujourd’hui encore, il reste des cicatrices. Mais nous avons appris à nous parler vraiment.
Est-ce qu’on peut vraiment réparer ce qui a été brisé ? Ou faut-il apprendre à vivre avec nos failles et nos maladresses ? Qu’en pensez-vous ?