Quand j’ai accepté d’immatriculer la voiture de mon frère : une histoire de confiance, de famille et de dettes
— Tu peux le faire pour moi, s’il te plaît ? Je te jure, c’est juste une formalité, je n’ai pas le choix…
La voix de Julien tremblait au téléphone. J’étais assise dans la cuisine de notre petit appartement à Lyon, les mains crispées sur ma tasse de café. Il était 22h, la pluie battait contre les vitres. Je savais déjà que j’allais dire oui. Julien, c’est mon petit frère, celui qui a toujours eu le don de se mettre dans des situations impossibles. Mais cette fois, il avait vraiment l’air désespéré.
— D’accord, soupirai-je. Mais tu me promets que tu vas faire attention ?
— Promis, Camille. Je te dois tout, tu le sais.
Je raccrochai, le cœur serré. J’essayais de me convaincre que ce n’était rien : juste une signature à la préfecture, une carte grise à mon nom. Mais au fond de moi, une petite voix me murmurait que je venais de franchir une limite.
Le lendemain, nous nous sommes retrouvés devant la préfecture du Rhône. Julien avait ce sourire charmeur qui lui avait toujours permis de s’en sortir. Il m’a serrée dans ses bras.
— Merci, grande sœur. Sans toi, je serais foutu.
J’ai signé les papiers. La voiture était désormais à mon nom.
Au début, tout allait bien. Julien venait parfois dîner chez moi, il me racontait ses galères de boulot, ses histoires d’amour ratées. Je sentais qu’il essayait vraiment de s’en sortir. Mais très vite, les ennuis ont commencé.
Un matin, j’ai trouvé dans ma boîte aux lettres une amende pour excès de vitesse. Puis une autre pour stationnement gênant. J’ai appelé Julien.
— C’est rien, Camille ! Je vais payer, t’inquiète !
Mais les amendes se sont accumulées. Puis un jour, un courrier recommandé : saisie administrative sur mon compte pour des impayés liés à la voiture. J’ai paniqué. J’ai appelé Julien en larmes.
— Tu te rends compte dans quelle merde tu m’as mise ?
Il a soupiré.
— Je suis désolé… J’ai eu des problèmes avec le boulot… Je vais régler ça.
Mais rien ne venait. Les dettes grossissaient. Ma mère a fini par s’en mêler.
— Camille, pourquoi tu t’es laissée embarquer là-dedans ? Tu sais bien comment est ton frère !
J’ai senti la colère monter en moi. Pourquoi c’était toujours à moi de réparer ses erreurs ? Pourquoi personne ne voyait que j’avais juste voulu l’aider ?
Les repas de famille sont devenus tendus. Mon père ne me parlait plus que pour me reprocher ma naïveté.
— Tu crois qu’on peut sauver tout le monde ? Tu vas finir par te noyer avec lui !
Julien évitait la maison. Il m’envoyait parfois des messages : « Je suis désolé », « Je vais trouver une solution ». Mais je voyais bien qu’il s’enfonçait.
Un soir, il est venu frapper à ma porte. Il avait perdu du poids, ses yeux étaient cernés.
— Camille… J’ai besoin d’aide.
Je l’ai laissé entrer. Il s’est effondré sur le canapé.
— J’ai tout foiré… J’ai perdu mon boulot… Je peux plus payer le crédit de la voiture…
Je me suis assise à côté de lui. J’avais envie de hurler, de le secouer. Mais je n’avais plus la force.
— Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Je suis déjà dans la merde à cause de toi !
Il a pleuré. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai vu mon frère sans masque, sans excuses.
— Je voulais pas te faire de mal… Je voulais juste qu’on reste soudés…
J’ai pleuré aussi. Parce que malgré tout, c’était mon frère. Parce que je savais que je ne pourrais jamais vraiment lui tourner le dos.
Les semaines suivantes ont été un enfer. Les huissiers ont appelé, menacé de saisir mes meubles. J’ai dû demander un prêt à la banque pour éponger les dettes. Ma relation avec mes parents s’est dégradée ; ils m’en voulaient presque autant qu’à Julien.
Un soir d’hiver, alors que je rentrais du travail sous la neige, j’ai croisé Julien devant mon immeuble. Il m’attendait avec un sac à dos.
— Je pars à Bordeaux… J’ai trouvé un boulot là-bas… Je veux pas te causer plus d’ennuis.
Il m’a tendu les clés de la voiture.
— Je suis désolé pour tout… Peut-être qu’un jour tu me pardonneras.
Il est parti sans se retourner. J’ai regardé les clés dans ma main et j’ai éclaté en sanglots.
Aujourd’hui encore, je paie les conséquences de ce choix fait par amour et naïveté. La voiture est vendue, mais les dettes restent. Ma famille est brisée ; chacun campe sur ses positions et personne ne veut plus parler du passé.
Parfois je me demande : jusqu’où doit-on aller pour aider ceux qu’on aime ? Est-ce qu’on peut vraiment sauver quelqu’un sans se perdre soi-même ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?