« Je ne veux pas d’enfants » – Mon choix, mon combat. L’histoire d’Élise face à sa famille et à la société française
« Tu vas le regretter, Élise. » La voix de ma mère résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains, les jointures blanchies par la tension. Mon père détourne les yeux, fixant obstinément la nappe à carreaux rouges et blancs, comme s’il espérait disparaître dans le motif. Ma sœur Camille, elle, soupire bruyamment, les bras croisés sur sa poitrine.
Je viens d’annoncer que je ne veux pas d’enfants. Pas maintenant, pas plus tard. Jamais. J’ai 34 ans et je suis fatiguée de faire semblant, fatiguée de répondre par des demi-sourires aux questions insistantes lors des repas de famille : « Et toi, Élise, c’est pour quand ? »
La vérité, c’est que je n’ai jamais ressenti ce fameux « instinct maternel » dont tout le monde parle. Petite déjà, je préférais lire ou dessiner plutôt que jouer à la maman avec mes poupées. À l’adolescence, j’ai observé mes amies rêver de landaus et de prénoms ; moi, je rêvais de voyages, de liberté, d’un appartement à moi seule à Paris.
Mais aujourd’hui, face à ma famille réunie dans cette maison de banlieue lyonnaise où j’ai grandi, je me sens minuscule. « Tu es égoïste », lâche Camille. « Tu penses qu’à toi. »
Je voudrais lui répondre que penser à soi n’est pas un crime. Que j’ai le droit de choisir ma vie. Mais les mots restent coincés dans ma gorge. Ma mère se lève brusquement et quitte la pièce sans un mot. Mon père me lance un regard triste : « On voulait juste être grands-parents… »
Je rentre chez moi ce soir-là avec un poids sur la poitrine. Dans le métro bondé, je croise des poussettes, des enfants qui crient, des parents épuisés. Je me demande si je suis vraiment différente ou simplement honnête avec moi-même.
Les semaines passent et le sujet revient sans cesse. Au téléphone, ma mère tente une nouvelle approche : « Tu sais, Élise, la vie sans enfants est vide… Qui s’occupera de toi quand tu seras vieille ? » Je souris tristement. Je préfère affronter la solitude que d’imposer une vie à un être humain juste pour remplir un vide ou répondre à une attente sociale.
Au travail aussi, les remarques fusent. Ma collègue Sophie me glisse à la machine à café : « Tu as encore le temps… Tu verras, ça viendra ! » Comme si mon horloge biologique était une bombe à retardement prête à exploser.
Un soir d’automne, je retrouve mon amie Claire dans un bar du Vieux Lyon. Elle est mère de deux enfants et pourtant, elle ne me juge pas. « Tu sais, Élise, parfois j’envie ta liberté », avoue-t-elle en sirotant son verre de vin blanc. « On ne parle jamais des regrets des mères… On ne parle jamais du droit de choisir autrement. »
Ses mots me réconfortent plus que je ne l’aurais cru. Pour la première fois depuis longtemps, je me sens comprise.
Mais la pression familiale ne faiblit pas. À Noël, ma tante Françoise me prend à part : « Tu vas finir seule avec tes chats ! » Je ris jaune. Je n’ai même pas de chat.
Le pire reste la culpabilité sourde qui s’insinue dans mon quotidien. Je culpabilise de faire souffrir mes parents, de décevoir ma sœur qui rêve que nos enfants grandissent ensemble. Mais je culpabiliserais encore plus d’avoir un enfant sans en avoir envie.
Un dimanche matin, alors que je me promène sur les quais du Rhône, je croise une femme d’une soixantaine d’années assise sur un banc avec un livre. Nos regards se croisent et elle me sourit. Je m’assois près d’elle et nous entamons une conversation banale sur la météo puis sur la vie.
« J’ai choisi de ne pas avoir d’enfants », me confie-t-elle soudainement. « Ce n’était pas facile il y a quarante ans non plus… Mais tu sais quoi ? Je ne regrette rien. J’ai vécu mille vies dans une seule. »
Ses mots résonnent en moi comme une promesse d’avenir possible.
Quelques mois plus tard, lors d’un dîner familial tendu, je prends enfin la parole :
— Maman, Papa… Je vous aime mais je ne changerai pas d’avis. Ce n’est pas contre vous ni contre la famille. C’est pour moi. J’ai besoin que vous acceptiez mon choix.
Un silence pesant s’installe. Ma mère pleure doucement mais cette fois, mon père pose sa main sur la sienne et murmure : « C’est ta vie, Élise… On finira par comprendre. »
Je sens une vague de soulagement m’envahir. Peut-être qu’ils ne comprendront jamais vraiment mais ils essaient. Et c’est déjà beaucoup.
Aujourd’hui encore, il m’arrive de douter. Mais chaque matin où je me réveille dans mon appartement lumineux du 7e arrondissement sans bruit d’enfant ni obligation maternelle, je sais que j’ai fait le bon choix pour moi.
Est-ce si difficile d’accepter qu’une femme puisse être heureuse autrement ? Pourquoi nos choix dérangent-ils tant ?