Notre fils a loué notre maison sans nous prévenir – aujourd’hui, nous survivons dans une cabane en forêt
« Tu plaisantes, n’est-ce pas ? » Ma voix tremble alors que je fixe Étienne, notre fils unique, debout dans l’entrée du salon. Il évite mon regard, triturant nerveusement la clé de la maison entre ses doigts. Mon mari, Gérard, reste figé à côté de moi, les bras croisés sur sa poitrine, le visage fermé.
« Maman… Papa… Je n’avais pas le choix. J’ai besoin d’argent pour lancer mon entreprise. J’ai trouvé des locataires pour la maison. Ils arrivent demain. »
Un silence glacial s’abat sur la pièce. Je sens mon cœur s’effondrer. Notre maison, celle que nous avons bâtie pierre après pierre à la sortie du village de Saint-Aubin, celle où j’ai vu grandir Étienne, où chaque recoin porte la trace de notre histoire… Louée à des inconnus, sans même un mot d’avertissement.
Gérard explose : « Et nous, Étienne ? Tu pensais à nous ? Où veux-tu qu’on aille ? »
Étienne baisse la tête. « Il y a toujours la vieille cabane de grand-père, dans le bois. C’est temporaire… Je vous promets que je vais arranger les choses. »
Je ne trouve plus mes mots. Je me sens trahie, abandonnée par celui que j’ai porté, nourri, aimé plus que tout. Comment a-t-il pu croire que l’argent valait plus que notre foyer ?
Le lendemain matin, nous quittons la maison avec deux valises et le strict nécessaire. Les nouveaux locataires arrivent déjà, un couple de Parisiens souriants qui nous saluent poliment sans comprendre notre détresse. Étienne ne vient même pas nous dire au revoir.
La cabane est minuscule, humide, envahie par les toiles d’araignée et l’odeur de bois pourri. Gérard tente de faire bonne figure : « On va s’en sortir, Marie. On a connu pire. » Mais je vois bien qu’il est brisé lui aussi.
Les jours passent, rythmés par le froid qui s’infiltre sous la porte et les repas frugaux préparés sur un vieux réchaud à gaz. Nous vivons coupés du monde, sans électricité ni eau courante. Je me surprends à pleurer chaque soir en silence, repensant à notre vie d’avant : les repas en famille, les rires autour de la table, les Noëls sous le grand sapin du salon.
Un matin, alors que je ramasse du bois mort près du ruisseau, je croise Madame Lefèvre, notre voisine d’enfance. Elle s’arrête net en me voyant : « Marie ? Mais qu’est-ce que tu fais ici ? »
Je fonds en larmes et lui raconte tout. Elle serre ma main dans la sienne : « Viens prendre un café à la maison quand tu veux. Tu n’es pas seule. »
Mais je me sens seule. Gérard et moi ne parlons presque plus. Il passe ses journées à bricoler dehors ou à marcher dans les bois pour fuir notre misère. Parfois, il marmonne : « On aurait dû voir venir… Il était déjà égoïste petit… »
Je refuse de croire que tout est perdu. Un soir, je décide d’appeler Étienne. Sa voix est tendue : « Maman, je travaille beaucoup… Je rembourse bientôt les dettes et vous pourrez rentrer… »
« Tu te rends compte de ce que tu nous as fait ? » Ma voix se brise.
Il soupire : « Je voulais juste réussir… Je pensais que vous comprendriez… »
Je raccroche en pleurant.
Les semaines passent. L’hiver s’installe. Gérard tombe malade : une mauvaise toux qui ne passe pas. Je me bats pour trouver du bois sec et garder la cabane chaude. Je me sens vieille, usée, trahie par la vie et par mon propre fils.
Un soir de tempête, alors que le vent hurle dehors et que Gérard grelotte sous trois couvertures, j’entends frapper à la porte. J’ouvre : c’est Étienne.
Il a l’air épuisé, amaigri. Il tombe à genoux devant moi : « Pardonne-moi, maman… J’ai tout perdu… Les locataires sont partis sans payer… L’entreprise a coulé… Je n’ai plus rien… »
Je le regarde longtemps sans rien dire. Puis je m’effondre à côté de lui et le serre contre moi. Gérard se lève difficilement et pose une main sur son épaule.
Nous passons la nuit tous les trois dans la cabane glaciale, blottis les uns contre les autres comme autrefois.
Le lendemain matin, alors que le soleil perce enfin à travers les arbres givrés, je sens une étrange paix m’envahir. Nous avons tout perdu matériellement – mais peut-être pouvons-nous encore sauver ce qui reste de notre famille.
Aujourd’hui, alors que j’écris ces lignes au coin du feu vacillant, je me demande : qu’est-ce qui fait vraiment une famille ? Est-ce la maison ou l’amour qu’on se porte malgré les blessures ? Et vous, auriez-vous pardonné à votre enfant une telle trahison ?