Mariage sur la Côte d’Azur : Le combat de Camille entre douleur, amour et préjugés

« Tu es sûre de vouloir faire ça, Camille ? » La voix de ma mère tremble, presque couverte par le bruit des vagues qui s’écrasent sur les galets de la plage de Menton. Je serre les accoudoirs de mon fauteuil roulant, mes doigts blanchissent. Autour de moi, les invités chuchotent, certains détournent le regard, d’autres me fixent avec une pitié que je déteste. Je sens la sueur froide couler dans mon dos sous ma robe blanche.

Je ferme les yeux un instant. Les images reviennent : l’accident, la voiture qui glisse sur la route mouillée, le choc brutal, le silence assourdissant après le fracas. Puis l’hôpital, les médecins qui évitent mon regard, le verdict tombant comme une sentence : « Vous ne marcherez plus. » J’avais vingt-six ans, une vie devant moi, des rêves de voyages et de liberté. Tout s’est effondré en quelques secondes.

Adrian, mon fiancé, était là dès le premier jour. Il n’a jamais fui devant la douleur ou la colère. Il a supporté mes cris, mes silences, mes larmes. Mais ma famille… Mon père n’a pas supporté de me voir ainsi. Il a cessé de venir me voir à l’hôpital après la première semaine. Ma sœur Claire a tenté d’être présente, mais elle ne comprenait pas pourquoi je refusais de voir des spécialistes à Paris ou à Lyon. « Tu dois te battre ! » répétait-elle sans cesse, comme si je ne faisais pas déjà tout pour survivre.

Aujourd’hui, c’est le jour où je devrais être heureuse. Mais je sens le poids des regards, des non-dits. Ma mère s’approche et s’agenouille à côté de moi. « Camille… tu sais que ce n’est pas ce que j’avais imaginé pour toi… » Sa voix se brise. Je prends une inspiration profonde. « Maman, moi non plus. Mais c’est ma vie maintenant. Et j’ai choisi d’être heureuse avec Adrian. »

Les invités se lèvent alors qu’Adrian s’avance vers moi. Il porte un costume bleu nuit, ses cheveux bruns légèrement ébouriffés par le vent marin. Il me sourit, ce sourire qui m’a sauvée tant de fois du désespoir. Il s’agenouille devant moi et prend ma main dans la sienne. « Camille, tu es prête ? »

Je sens les larmes monter. Je regarde autour de moi : certains invités sourient sincèrement, d’autres semblent gênés. Je repense à toutes ces fois où j’ai entendu des murmures dans la rue : « La pauvre… », « Elle ne pourra jamais avoir une vie normale… », « Son fiancé doit être un saint… » Comme si aimer une femme en fauteuil était un acte héroïque.

La cérémonie commence. Le maire lit les textes officiels, mais je n’entends que le bruit des vagues et le battement affolé de mon cœur. Quand vient le moment d’échanger nos vœux, Adrian se penche vers moi :

— Je t’aime pour ta force, pour ta lumière et pour tout ce que tu es devenue malgré la douleur.

Je sens mes mains trembler. Je prends une grande inspiration :

— Je t’aime parce que tu as vu en moi plus qu’un corps brisé. Parce que tu m’as appris à aimer la vie à nouveau.

Un silence tombe sur l’assemblée. Ma mère pleure doucement. Mon père est absent — il n’a pas supporté l’idée de me voir épouser quelqu’un « dans cet état ». Je sens un vide immense à l’intérieur de moi, mais aussi une fierté nouvelle.

Après la cérémonie, alors que tout le monde se dirige vers le buffet dressé sous les oliviers, Claire me rejoint.

— Tu sais… je t’ai jugée trop vite. J’avais peur pour toi… peur que tu souffres encore plus.

Je souris tristement.

— J’ai déjà tout perdu une fois, Claire. Maintenant je veux juste vivre.

Elle me serre dans ses bras et pour la première fois depuis longtemps, je sens que quelque chose se répare entre nous.

La soirée avance. Les enfants courent sur la plage, les adultes discutent autour des plateaux de fromages et des verres de rosé. Certains invités viennent me féliciter timidement ; d’autres évitent soigneusement mon fauteuil comme s’il était contagieux.

Plus tard dans la nuit, Adrian et moi nous retrouvons seuls face à la mer noire. Il pose sa main sur mon épaule.

— Tu regrettes ?

Je secoue la tête.

— Non… Mais j’ai peur que notre vie soit toujours un combat contre les regards des autres.

Il sourit doucement.

— On s’en fiche des autres. On a déjà gagné notre bataille.

Je ferme les yeux et laisse le vent salé caresser mon visage. Peut-être qu’il a raison. Peut-être qu’il est temps d’arrêter de vivre pour les autres et d’accepter enfin d’être heureuse.

Mais dites-moi… Est-ce que le bonheur est vraiment possible quand on porte en soi tant de blessures ? Peut-on aimer et être aimé sans condition dans une société qui juge si vite ?