Après le mariage, j’ai compris que mon mari n’écoutait que sa mère : Le prix de mon silence

— Tu pourrais au moins demander à Maman si elle est d’accord avant de préparer le dîner, Lucie, lança Paul en déposant son sac sur la chaise du couloir.

Je me suis figée, la casserole à la main. Encore une fois, il ne s’adressait pas à moi comme à une épouse, mais comme à une invitée dans sa propre maison. Ou plutôt, dans la maison de sa mère. J’ai inspiré profondément, tentant de ravaler la boule d’amertume qui me montait à la gorge.

Quand Paul m’a demandé en mariage, je croyais sincèrement que nous allions construire notre vie ensemble. J’avais un petit appartement à Lyon, lumineux et modeste, mais il a insisté : « Chez Maman, on aura plus d’espace, et puis elle a besoin de nous. » J’ai cédé. Je me suis dit que ce n’était que temporaire, que l’amour valait bien quelques compromis.

Mais très vite, j’ai compris que chez Madame Martine, rien ne m’appartenait. Pas même mon mari.

— Lucie, tu as mis trop de sel dans la soupe, a-t-elle commenté ce soir-là, sans lever les yeux de son tricot.

J’ai souri poliment. Je n’osais plus rien dire. Chaque geste était observé, jugé. Paul ne disait rien. Pire : il prenait systématiquement le parti de sa mère.

Un soir d’hiver, alors que je rentrais tard du travail — j’étais infirmière à l’hôpital Édouard-Herriot — j’ai trouvé Paul et Martine assis côte à côte sur le canapé. Ils riaient d’une vieille anecdote familiale. Je me suis sentie étrangère dans mon propre foyer.

— Tu pourrais prévenir quand tu rentres tard, a-t-il lancé sans même un regard.

— Je travaille, Paul. Je ne peux pas toujours prévoir…

— Maman s’inquiète.

Toujours « Maman ». Jamais « nous ».

Les mois ont passé. J’ai essayé de m’intégrer : j’ai cuisiné ses plats préférés, j’ai aidé Martine au jardin, j’ai même accepté ses critiques sur ma façon de plier le linge. Mais rien n’y faisait. Je n’étais jamais assez bien.

Un dimanche matin, alors que je préparais le petit-déjeuner, Martine est entrée dans la cuisine.

— Tu sais, Lucie, Paul a toujours eu besoin de moi. Il n’est pas très débrouillard…

J’ai senti la pique. Elle voulait me rappeler ma place : celle d’une étrangère tolérée par bonté d’âme.

La tension est montée d’un cran le jour où j’ai proposé à Paul d’emménager dans mon appartement. Il a blêmi.

— Mais… et Maman ? Elle ne peut pas rester seule !

— Paul, on est mariés. On doit avoir notre vie à nous…

Il s’est levé brusquement.

— Tu ne comprends rien !

Ce soir-là, j’ai pleuré en silence dans la salle de bains. Je me suis regardée dans le miroir : cernes sous les yeux, sourire éteint. Où était passée la Lucie pleine de rêves et d’ambitions ?

Un jour, ma mère m’a appelée.

— Ma chérie, tu as l’air fatiguée… Tu viens moins souvent nous voir.

J’ai menti : « Tout va bien, Maman. »

Mais tout allait mal. Je n’avais plus d’amies — difficile d’inviter qui que ce soit chez Martine — et mon travail était devenu mon seul refuge.

La situation a explosé le soir où j’ai annoncé à Paul que j’avais eu une promotion à l’hôpital.

— C’est génial ! On va fêter ça ?

Martine a levé les yeux au ciel.

— Une promotion ? Mais qui va s’occuper de la maison ?

Paul a baissé la tête.

— Elle a raison… Tu vas rentrer encore plus tard ?

J’ai senti la colère monter.

— Et toi ? Tu pourrais aider aussi !

Silence glacial. Martine s’est levée et a quitté la pièce en marmonnant.

Cette nuit-là, j’ai pris une décision. J’ai attendu que Paul dorme pour écrire une lettre à ma mère : « Je crois que je me suis perdue ici. »

Le lendemain matin, j’ai fait mes valises. Paul m’a regardée sans comprendre.

— Où tu vas ?

— Chez moi. Chez moi, Paul. Là où je peux respirer.

Martine est apparue dans l’embrasure de la porte.

— Tu abandonnes mon fils ?

J’ai soutenu son regard pour la première fois depuis des mois.

— Non. Je m’abandonne moi-même si je reste ici.

Je suis partie sans me retourner.

Aujourd’hui, assise sur le balcon de mon petit appartement lyonnais, je repense à ces années perdues à vouloir plaire à tout prix. J’ai retrouvé mes amies, repris goût à la vie. Parfois Paul m’appelle — il regrette peut-être — mais je ne réponds plus.

Pourquoi ai-je laissé quelqu’un décider pour moi si longtemps ? Est-ce qu’on peut vraiment aimer quelqu’un qui ne sait pas vous défendre ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?