Le piège de l’amour maternel : Comment j’ai perdu ma liberté en aidant mon fils et ma belle-fille
— Maman, je t’en supplie, c’est la dernière fois que je te demande ça…
La voix de Mathieu tremblait au téléphone. J’étais assise dans la cuisine, la main crispée sur ma tasse de café, le regard perdu dans la cour silencieuse. Il était 7h du matin, et déjà, mon cœur battait à tout rompre. Je savais ce qu’il allait demander. Depuis des mois, les appels de mon fils étaient devenus synonymes d’angoisse.
— Tu sais bien que sans toi, on ne s’en sortira pas…
J’ai fermé les yeux. J’aurais voulu lui dire non. J’aurais voulu penser à moi, pour une fois. Mais comment refuser à son enfant ?
Je m’appelle Mireille, j’ai 62 ans, et j’habite à Tours. Toute ma vie, j’ai travaillé comme infirmière à l’hôpital Bretonneau. J’ai élevé seule Mathieu après le départ de son père. J’ai tout donné pour lui : mon temps, mon énergie, mes économies. Je rêvais qu’il ait une vie meilleure que la mienne.
Quand il a rencontré Camille, j’ai cru que le bonheur était enfin là pour lui. Ils se sont mariés dans la petite église du quartier, un jour de mai où le soleil baignait la ville d’une lumière dorée. J’étais fière, émue aux larmes. Mais très vite, les problèmes ont commencé : Camille a perdu son emploi dans une boutique de vêtements, Mathieu n’arrivait pas à décrocher un CDI malgré ses diplômes en histoire.
— Maman, tu pourrais nous avancer deux mois de loyer ? On te remboursera dès que Camille retrouvera du travail…
Au début, c’était des petites sommes. Puis il y a eu la voiture en panne, les factures d’électricité impayées, la naissance de leur petite Lucie qui a tout compliqué. Je me suis retrouvée à piocher dans mes économies, celles que j’avais mises de côté pour voyager en Italie ou refaire la salle de bains.
Un soir d’hiver, alors que je rentrais du marché avec un sac de pommes de terre, j’ai croisé ma voisine, Madame Lefèvre.
— Vous avez l’air fatiguée, Mireille…
— Oh, c’est rien… Juste un peu préoccupée.
— C’est encore votre fils ?
J’ai senti mes joues rougir. Tout le quartier savait que Mathieu et Camille avaient du mal à joindre les deux bouts. Certains murmuraient que je les « couvais trop », que je les empêchais de grandir.
Mais comment faire autrement ? Quand Lucie est tombée malade et qu’ils n’avaient pas de quoi payer le médecin, c’est moi qui ai avancé l’argent. Quand ils ont failli être expulsés de leur appartement HLM, c’est moi qui ai signé la caution.
Un matin, alors que je consultais mon relevé bancaire en ligne, j’ai eu un choc : il ne me restait presque rien. Ma retraite modeste ne suffisait plus à couvrir mes propres besoins. J’ai paniqué. J’ai appelé Mathieu.
— Mathieu, il faut qu’on parle… Je ne peux plus continuer comme ça.
— Mais maman ! Tu sais bien qu’on n’a personne d’autre ! Tu veux qu’on dorme dans la rue ?
Sa voix était dure, presque agressive. J’ai senti une boule se former dans ma gorge.
— Je t’aime, mais je dois aussi penser à moi…
— Tu penses qu’à toi maintenant ? Après tout ce que tu as fait ?
Il a raccroché brutalement. J’ai éclaté en sanglots. Je me suis sentie coupable, égoïste… et terriblement seule.
Les jours suivants ont été un calvaire. Camille m’a envoyé des messages froids : « Merci pour tout ce que tu as fait… On va se débrouiller sans toi désormais. » Je n’ai plus eu de nouvelles pendant des semaines.
J’ai essayé de reprendre goût à la vie : je me suis inscrite à un atelier de peinture à la MJC du quartier, j’ai accepté l’invitation d’une amie pour aller voir un film au cinéma Studio. Mais le cœur n’y était pas. Chaque soir, je regardais les photos de Lucie sur mon téléphone et je pleurais en silence.
Un dimanche matin, alors que je faisais mon marché place Jean Jaurès, j’ai croisé Camille avec Lucie dans sa poussette. Elle m’a à peine saluée.
— Bonjour Mireille…
— Bonjour Camille… Comment va Lucie ?
— Elle va bien.
Un silence gênant s’est installé.
— Vous savez… Mathieu cherche du travail tous les jours. Ce n’est pas facile pour lui non plus.
— Je sais… Mais moi aussi, ce n’est pas facile.
Elle a détourné les yeux et s’est éloignée sans un mot de plus.
Ce soir-là, j’ai pris une décision : il fallait que je pense à moi. J’ai commencé à refuser les demandes d’argent. J’ai accepté un petit boulot de garde d’enfants chez une voisine pour arrondir mes fins de mois. Petit à petit, j’ai repris confiance en moi.
Mais la douleur restait là : celle d’une mère qui se sent trahie par son propre enfant. Avais-je trop donné ? Avais-je empêché Mathieu et Camille de devenir autonomes ? Ou bien la société française actuelle est-elle trop dure pour les jeunes familles ?
Aujourd’hui encore, je me pose ces questions en regardant par la fenêtre de mon petit appartement : « Peut-on aimer trop fort ? Où est la limite entre l’aide et le sacrifice ? »
Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ?